Lucien Bianco publie « La récidive » et confie : « Un Alain Badiou n’est possible qu’en France »

Dans « La Récidive », le sinologue Lucien Bianco revisite l’histoire du maoïsme. Pour « Marianne », il raconte pourquoi sa critique de la révolution lui a valu l’aversion de penseurs français fascinés par Mao Zedong. Parmi lesquels le philosophe Alain Badiou.
Paris: Alain  Badiou Rue89 Signalé par Pierre Haski à lire sur Marianne.net 14/12/2014

« Un Alain Badiou n’est possible qu’en France »

alucien_bianco Le sinologue Lucien Bianco, qui publie « La récidive », un livre comparant les communismes russe et chinois, revient dans une interview à Marianne sur ses déboires d’antan avec l’intelligentsia française fascinée par Mao Zedong. Et en particullier le philosophe Alain Badiou qui s’en prenait récemment encore à Simon Leys, le pourfendeur du maoïsme décédé en août dernier.
Interrogé sur la dernière sortie d’Alain Badiou dans Libération, Lucien Bianco répond : « S’il faut reconnaître un mérite à Alain Badiou, c’est de ne pas se renier : il persiste à critiquer Simon Leys à l’heure où tout le monde reconnaît et loue son rôle de précurseur. Cela dit, j’avoue que je n’ai pas lu l’article d’Alain Badiou. A mon avis,« un Badiou n’est possible qu’en France ! »
Lucien Bianco évoque le climat des années 70 : « Althusser, je l’ai surtout connu quand j’étais moi-même élève dans les années 50 et qu’il m’a désigné (en 1954) pour partir en Chine, précisément parce que j’étais le seul de l’ENS à faire du chinois. Je m’entendais alors très bien avec lui.
Vingt ans après mon premier voyage, je suis retourné en Chine, en 1974, à l’invitation de la Rue d’Ulm, qui m’a demandé d’accompagner les élèves. Nombre d’entre eux étaient soit maos, soit trotskistes. Dès l’arrivée à l’aéroport de Pékin, ils se comportaient comme s’ils se rendaient à La Mecque ! On ne s’est pas toujours bien entendus. Le but des Chinois qui nous encadraient était de nous empêcher de parler avec la population. Quand j’essayais d’échapper quelques minutes à la surveillance tatillonne de nos guides, je me faisais rappeler à l’ordre par un élève.
Cette censure exercée par des ressortissants d’un pays démocratique était encore plus stupéfiante en France, où elle était surtout le fait de la presse. En 1968, la Quinzaine littéraire m’a commandé une recension du livre louangeur et loufoque d’Alberto Moravia la Révolution culturelle de Mao. Je m’en moquais gentiment dans ma critique. Las ! La Quinzaine a refusé de la publier, la jugeant trop dure. Elle paraîtrait bénigne aujourd’hui.
A votre retour de Chine, en 1974, vous adressez au “Monde” une série d’articles consacrés à ce que vous aviez vu. Que s’est-il alors passé ?
J’ai voulu confier au Monde mes impressions de voyage. Les articles envoyés au quotidien du soir n’ont pas tous été publiés, et ceux qui sont parus étaient mutilés. Le directeur, Jacques Fauvet, a mis son veto à la publication du premier article, plus tard publié dans Esprit, puis dans Regards froids sur la Chine (Seuil, 1969) sous le titre “ Voyage dans un bocal ”.
Deux ans plus tard, à la mort de Mao, le Monde me redemande un article, qui doit prendre place au milieu d’autres contributions. Comme il était d’une tonalité trop critique, le journal a estimé plus prudent de le rapatrier en page “ Libres opinions ”, devenues depuis “ Débats ”. »
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 Dans son nouveau livre, « la Récidive », le sinologue Lucien Bianco montre comment la révolution chinoise a répété et, par bien des aspects, amplifié l’imposture totalitaire stalinienne, et que le Grand Bond en avant de 1958 a été une réplique aggravée du grand tournant soviétique des années 20. Il a fallu que ce sinologue, né en 1930 et contemporain de Bourdieu et de Derrida, se plonge dans une abondante bibliographie sur l’URSS pour établir les nombreuses similitudes entre maoïsme et stalinisme : toute-puissance de la bureaucratie, surexploitation de la paysannerie, provoquant les deux plus grandes famines du XXe siècle, mise au pas des artistes et des intellectuels…
Le résultat est là, impressionnant : en 530 pages aussi vigoureuses que documentées, le sinologue n’hésite pas à prendre parti. « La Récidive » couronne la trajectoire d’un chercheur ennemi des enrégimentements et des sectarismes idéologiques. 
La Récidive. Révolution russe, révolution chinoise, de Lucien Bianco, Gallimard, coll. «Bibliothèque des histoires», 522 p., 29 €.

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Deux phénomènes peuvent amener à une manipulation dans la prise en compte des informations par notre conscience : --> Le mirage qui voile et cache la vérité derrière les brumes de la sensiblerie et de la réaction émotionnelle. --> L’illusion qui est une interprétation limitée de la vérité cachée par le brouillard des pensées imposées. Celles-ci apparaissent alors comme plus réelles que la vérité qu’elles voilent, et conditionnent la manière dont est abordé la réalité … A notre époque médiatisée à outrance, notre vigilance est particulièrement requise !
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