Le lendemain de la fin du monde : Edito 2012 de Bernard Maris

Charlie Hebdo du 19 décembre 2012 – l’Edito de Bernard Maris
Le 22 à l’aube…
Comme j’ai échappé (avec quelques potes de Charlie et quelques lecteurs), à la fin du monde, un peu par hasard je dois dire, je constate avec bonheur le résultat : 99% de l’humanité a été éliminée de la surface de la Terre…
100_5168Tout s’est arrêté, mais un joli soleil luit sur les décombres. La quasi-totalité des animaux est sauve. Le silence est total, à peine troublé par une brise paradisiaque. Des choses inconnues des humains ont surgi : l’odeur des arbres et des fleurs, eux aussi épargnés. En fait, la fin du monde a liquidé tout ce qui était laid. Les entrées des villes, les périphériques, les bagnoles elles-mêmes, évaporées, la tour Montparnasse, Brice Hortefeux, Depardieu, Tapie, les smartphones, la pub, les livreurs de la Poste, les videurs de boîtes de nuit, les abandonneurs de déjections canines.  A nuit elle-même, avec sa symphonie d’étoiles est devenue un bonheur. Nous décidons aussitôt de repeupler la Terre. Hélas, hélas, hélas : la fin du monde a laissé subsister la télé ! Au lieu de repeupler, nous nous installons devant un écran.
Le débat Copé-Fillon continue. Les deux, pieds nus, en haillons, annoncent qu’ils vont revoter pour le bien de leur parti, du peuple et de la France. Obama, le cheveu défrisé, en simple slip de bain, apparaît. Il déclare qu’il laisse à nouveau subsister la vente de fusil d’assaut, car en ces périodes d’incertitude mieux vaut être armé – quelques ventrus, les bras croisés sur le boyau à bière, approuvent. Des socialistes un peu hagards surgissent et déclament qu’il faut enfin repartir sur de nouvelles bases et réindustrialiser le pays. Sans doute rouvrir les mines à charbon. Vite, car il n’y a pas de temps à perdre. A peine les survivants ont-ils eu le temps de respirer que les mots de productivité, efficacité, progrès, et l’expression « ça crée des emplois » réapparaissent. Bref, tout repart comme avant. La deux douzaine de Syriens survivants recommencent à s’étriper, des barbus éructent, des artistes pérorent, des pécores rient aux éclats, des sportifs se dépassent, des dépassés ricanent, des comiques mimiquent, des politicards politisent, des analystes analysent. On voit même ressurgir un économiste !
100_5165Là, c’en est vraiment trop : à minuit, alors que les derniers journalistes bouclent fébrilement leur premier papier sur les dernier survivants et sur leur vie future, car il n’y a pas un instant à perdre, un grand éclair balaye tout ce qui restait d’humain sur cette Terre. Pas question de laisser les humains repulluler et polluer.
La vie… Cette chose si brève et si chère, nous en avons tellement peur que nous nous projetons sans cesse dans l’instant suivant… Demain, pour ne pas vivre aujourd’hui. Investir, pour ne pas cueillir le jour. Passer le temps, sinon le tuer, pour croire qu’il n’est pas compté.
Nous allons crouler sous la pacotille sans voir que l’abondance est ailleurs
Me frappe dans le métro cette génération qui pianote sur ses smartphones. Ces gens pourraient se sourire, se parler, non, ils sont dans la hâte de fuir le moment présent sur le virtuel de leurs jouets. Ce sont des enfants. Leurs outils sont en fait des jouets. On leur dit de fuir en avant et lis le font, crédules. On leur dit que les jouets qu’ils ont entre les doigts ne valent rien, et ils les jettent. Je suis comme eux : depuis que je lis moins, j’achète beaucoup plus de livres, que je n’ouvre pas pour la plupart. Il est épouvantablement difficile et cruel d’oser s’arrêter et penser. Le mythe de la fin du monde n’est qu’un appel à la méditation : arrêtez-vous un instant et réfléchissez.
100_5163Dans les rues enluminées de Noël, les magasins offrent une débauche d’objets et de vêtements. Darty est plein à craquer. A côté de l’enseigne Darty clignotent : « Inutile et pacotille ». Mais que cette pacotille nous fait du bien ! Elle est le doudou qui chasse la peur des enfants. Contre elle nous frottons nos joues et comme eux nous serons sauvés un instant au moment de défaire les jolis paquets de Noël. Nous allons accabler nos enfants de cadeaux, les étouffer, sous ces papiers colorés ils vont crouler, car nous voulons leur donner l’illusion de l’abondance, qui est aussi celle de l’éternité. La profusion est ailleurs, amis. En nous, en certaines choses simples, mais la vraie profusion nous terrorise un peu… Difficile d’être humain ! Mais joyeux Noël tout de même !

A propos werdna01

Hors des paradigmes anciens et obsolètes, libérer la parole à propos de la domination et de l’avidité dans les domaines de la politique, de la religion, de l’économie, de l’éducation et de la guérison, étant donné que tout cela est devenu commercial. Notre idée est que ces domaines manquent de générosité et de collaboration.
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