La Chine grisonne à grande vitesse : Dans quelques décennies, c’est tout le pays qui pourrait devenir « supervieux ».

Le Monde.fr | 27.01.2015

4563699_6_93f4_en-chine-la-politique-de-l-enfant-unique-mise_07dbbe4663e9c10fbdb9bfbff82cd93b

Rudong, de l’enfant unique aux « supervieux »

Lettre de Pékin. A Rudong, les jeunes sont une espèce en voie de disparition. Ce district d’un peu plus d’un million d’habitants dans la province du Jiangsu (est de la Chine) a reçu le qualitatif de « supervieux », en raison de la forte proportion de personnes âgées : 20 % de sa population a plus de 65 ans. « Le district est entré dans ce stade de son développement démographique vingt ans plus tôt que les autres parties de la Chine, ce qui pousse certains experts à voir en Rudong un prélude de la Chine de deux prochaines décennies », relève l’hebdomadaire Nanfang Zhoumo dans un reportage récent. Car, après trois décennies d’enfant unique (environ 60 % des familles y sont astreintes stricto sensu, les autres bénéficiant de dérogations diverses), la Chine grisonne à grande vitesse.
Le vieillissement prématuré de Rudong n’est pas le fruit du hasard : le district, qui est sous la tutelle de la ville de Nantong, fut une zone pilote dans la mise en œuvre de la planification familiale dans les années 1980. En trois ans, il parvint à réduire son taux de croissance démographique de 2 % à 0,5 % et fut distingué en 1986 par le gouvernement pour ses prouesses. Or ce passé glorieux menace de faire aujourd’hui sa ruine : Rudong voit se profiler de lourds déficits de ses fonds de pension. Sa main-d’œuvre est insuffisante pour attirer les investisseurs. Et l’exode des jeunes vers les grandes villes s’accélère.
Empêcher les femmes d’accoucher en secret
L’hebdomadaire a retrouvé l’un de ces soldats de la politique de l’enfant unique dont le zèle permit à Rudong d’être sacré district « modèle » : Sang Shengfu, aujourd’hui âgé de 58 ans et agent du planning familial depuis vingt-huit ans, se souvient du temps où il « escortait » des couples au dispensaire pour se faire stériliser après la naissance de leur premier enfant. Lorsqu’il fallait déclencher à l’avance le travail d’une villageoise enceinte qui n’était pas autorisée à avoir un nouvel enfant (pour l’empêcher d’accoucher en secret), les agents du planning familial se relayaient plusieurs jours d’affilée dans la chambre de l’hôpital, rapporte le journal.
Cette description édulcorée est loin de rendre compte de la brutalité de la police des naissances en Chine. Pour en avoir dénoncé les abus dans un long rapport en 2005, le juriste aveugle Chen Guangcheng a subi plusieurs années de prison et d’incessantes brimades, jusqu’à sa spectaculaire évasion à l’ambassade américaine, en 2012.
Mais l’assouplissement de la politique de l’enfant unique décrété en 2013, et la refonte de la Commission de planification familiale, la redoutable administration qui gère le contrôle des naissances, commence à changer la donne. Les démographes, qui sonnent l’alerte sur les risques de vieillissement accéléré dans les années à venir, sont davantage écoutés, et les inspecteurs de grossesse sont incités à revoir leurs méthodes.
Comme le laisse penser un incident récent survenu à Linyi, la préfecture du sud de la province du Shandong, dans laquelle Chen Guangcheng avait justement rassemblé ses témoignages de victimes : la police y est intervenue pour libérer une femme de 39 ans séquestrée pendant presque six jours sur ordre des agents du planning familial dans une auberge rurale avec son nouveau-né de 10 mois. Son mari n’était pas parvenu à rassembler les 140 000 yuans de l’amende (20 000 euros). Il avait fini par se plaindre à la police, qui, contre toute attente, avait délivré sa femme.
Une amende pour garder un deuxième enfant
Filmé par un reporter qui accompagnait les policiers et largement repris par les médias chinois, le sauvetage de la paysanne confirme la petite révolution en cours : du temps de Chen Guangcheng, les victimes des agents du planning familial n’avaient aucun recours, et leur défenseur était traité comme un criminel. A Rudong, le district des « supervieux », l’agent de la planification familiale interrogé par le Nanfang Zhoumo, M. Sang, regrette d’avoir été si obéissant du temps de sa jeunesse – il n’a qu’un enfant – et se prend à envier les contrevenants qu’il pourchassait et ont payé une amende pour garder un enfant supplémentaire.
Affecté aux autorisations de second enfant, il réfléchit même à des dispositifs susceptibles d’encourager les couples à procréer, par exemple en leur proposant une prime, en remboursant les frais d’accouchement et en offrant l’accès à une crèche gratuite. Car, désormais, nombre de familles à Rudong rechignent à mettre au monde un deuxième enfant : seuls 11,6 % des 28 000 couples qui, selon les nouvelles régulations, seraient libres de le faire (par exemple dont l’un des membres est un enfant unique) se disent prêts à sauter le pas.
achinesupervieuxA l’échelle de la Chine, un million de couples seulement se sont portés candidats à un second enfant sur onze millions de familles potentiellement concernées. Dans quelques décennies, c’est tout le pays qui pourrait ainsi devenir « supervieux ».
Brice Pedroletti (Pékin, correspondant) Journaliste au Monde 

A propos kozett

Deux phénomènes peuvent amener à une manipulation dans la prise en compte des informations par notre conscience : --> Le mirage qui voile et cache la vérité derrière les brumes de la sensiblerie et de la réaction émotionnelle. --> L’illusion qui est une interprétation limitée de la vérité cachée par le brouillard des pensées imposées. Celles-ci apparaissent alors comme plus réelles que la vérité qu’elles voilent, et conditionnent la manière dont est abordé la réalité … A notre époque médiatisée à outrance, notre vigilance est particulièrement requise !
Cet article, publié dans International, Politique, Social, est tagué , , . Ajoutez ce permalien à vos favoris.