Pierre Dac : L’inénarrable fantaisiste est mort il y a quarante ans. Pas de quoi rire ? Au contraire : il suffit de se plonger dans « l’Os libre » et « signé Furax »

 Pour une franche rigolade
apierre-dac-est-mortle-chansonnier-et-humoriste-pierre-dac-est-mort-dac-A Pierre Dac (1893-1975), la patrie reconnaissante. Blessé durant la première guerre mondiale, ce chansonnier juif, de son vrai nom André Isaac, chercha à rejoindre Londres après avoir entendu l’appel du 18 juin. Il y parvint après plusieurs ten­tatives et, là, devint l’une des voix de Radio Londres et l’animateur de la célèbre émission « Les Français parlent aux Français ». « Quand, dans un jour prochain, nous leur ferons avaler leur bulletin de naissance, lança-t-il au micro de la BBC en 1943, il est infiniment probable que la rigolade changera de camp et que, cette fois, il n’y aura pas de mou dans la corde à nœuds. » Ce jour advint et l’humoriste ressuscita donc, sans mollir, son hebdomadaire L’Os à moelle sous le nom de L’Os libre. Soit 102 numéros, parus entre le 11 octobre 1945 et le 15 octobre 1947, dont les éditions Omnibus offrent, à l’occasion du quarantième anniversaire de la mort de Pierre Dac, une anthologie établie par Jacques Pessis.

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aPierre-Dac-248x300Surnommé l’« organe officiel des loufoques », L’Os libre affiche son slogan à la « une » : « Contre tout ce qui est pour et pour tout ce qui est contre ». C’est dire si sa rédaction de joyeux drilles maîtrise l’art du contre-pied. Que découvre-t-on au fil des pages ? Les éditos de Pierre Dac, mélangeant actualité et absurdité, des faits divers incongrus – inventés, bien sûr –, des recettes de cuisine fort peu comestibles, d’innombrables jeux de mots (« prestance et longueur de dents font plus qu’écorce ni qu’orage »), quelques pastiches, les épisodes d’un polar parodique signé Agatha Frichtie ainsi qu’une « vraie enquête de l’authentique inspecteur Poileau Luc »… Dans les petites annonces, une jeune femme offre une récompense pour retrouver ses heures de sommeil perdues. Un roublard propose une paire de chaussures en viager. Un dramaturge échange trois pièces en un acte contre un trois-pièces cuisine. « Cahin cherche caha en vue d’association. » Les poignées de mains sont en soldes. Un universitaire annonce que sa prochaine conférence décrira l’influence des rayons cosmiques sur les œufs à la neige en période de canicule. La ligne éditoriale ? De larges rations de fantaisie en période de pénurie.
Suspense et contrepet
114676219En 1956, nouvelle aventure médiatique. Pierre Dac et son complice Francis Blanche, fondateurs du Parti d’en rire, inventent (après « Malheur aux barbus », diffusé en 1951-1952) « Signé Furax », un feuilleton radiophonique suivi par des millions d’auditeurs, parmi lesquels le président du Conseil, Guy Mollet, lequel s’éclipse un jour d’une séance à l’Assemblée nationale pour ne pas rater l’épisode quotidien diffusé sur Europe n° 1. Pour les jeunes générations qui l’ignorent, ­Edmond Furax est un criminel capable d’hypnotiser ses victimes, un cambrioleur qui se travestit et change d’identité comme de chemise. Dans la retran­scription de la première saison, jusque-là ­inédite en librairie, tout indique que ce redoutable prestidigitateur ait réussi à escamoter plusieurs monuments parisiens : l’obélisque de la Concorde, Le Lion de Belfort, l’Arc de triomphe… Furax, ­vraiment ?
A l’antenne, les coauteurs interprètent les détectives Black & White, les autres personnages étant assurés par des jeunots qui s’appellent Jacques Dufilho, ­Raymond Devos, Roger Carel et Pauline Carton. C’est sans queue ni tête, épique et bouffon, le mariage réjouissant de la poésie et de la science-fiction, du suspense et du contrepet. « Je tiens Furax pour une œuvre géniale, pour la grande Iliade du siècle de l’humour », déclarait le sociologue Edgar Morin en 1959. On opine.
L’Os Libre, de Pierre Dac, Omnibus, 1006 p., 28 €.
Signé Furax. Le boudin sacré, de Pierre Dac et Francis Blanche, Omnibus, 790 p., 26 €.
LE MONDE DES LIVRES | 05.02.2015 Macha Séry Journaliste au Monde

A propos kozett

Deux phénomènes peuvent amener à une manipulation dans la prise en compte des informations par notre conscience : --> Le mirage qui voile et cache la vérité derrière les brumes de la sensiblerie et de la réaction émotionnelle. --> L’illusion qui est une interprétation limitée de la vérité cachée par le brouillard des pensées imposées. Celles-ci apparaissent alors comme plus réelles que la vérité qu’elles voilent, et conditionnent la manière dont est abordé la réalité … A notre époque médiatisée à outrance, notre vigilance est particulièrement requise !
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