Le coktail Poutine : Qui est le président russe ?

Le Monde.fr | 19.02.2015
poutineQui est vraiment Vladimir Poutine ? Une âme blessée ? Un conquérant ? un expansionniste acharné ?

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Le 18 février, au Kremlin RIA NOVOSTI / REUTERS
Vladimir Poutine intrigue, inquiète, séduit (certains), fait peur. Qu’y a-t-il derrière ce visage pâle, l’œil bleu délavé, le large front, cette manière un peu gauche, balançant entre arrogance et timidité, brutalité et politesse forcée ? Mieux vaudrait savoir. Poutine est avec nous pour longtemps. Il est au pouvoir depuis quinze ans déjà. Il entend y rester près de quinze ans encore. Une belle âme blessée ? Un expansionniste acharné à recréer une aire de domination russe ou, au contraire, un isolationniste occupé à protéger l’identité du pays ?
Les poutinologues sont divisés, comme l’étaient les kremlinologues du temps de l’URSS. Les uns, ceux qui sont en empathie avec lui, mettent tout sur le dos des Occidentaux. Poutine le belliqueux est le produit d’un pays « humilié » par les Américains et les Européens depuis la fin de la guerre froide. Incapables de prendre la mesure d’un sentiment national meurtri, ceux-là n’ont pas saisi l’ampleur du traumatisme éprouvé à la disparition de l’URSS.
En quête de considération
Autant qu’un réaliste, Poutine serait un grand sentimental : « Celui qui ne regrette pas l’URSS n’a pas de cœur, celui qui souhaite sa restauration n’a pas de tête », a dit le président russe. Membre de la tribu des « empathiques », l’académicienne Hélène Carrère d’Encausse a une thèse : Poutine est en mal d’affection. L’homme du Kremlin est en manque de considération. « Pour lui, le salut de la Russie passe par la reconnaissance de sa place en Europe », écrit-elle dans Le Point du 12 février. Cette place est celle d’une grande puissance respectée et reconnue : le président russe serait, d’abord, en quête de statut.
Certes, mais de là à démembrer un pays parce qu’une majorité de ses ressortissants, à trois reprises, a voté en faveur d’une ouverture vers l’Europe, il y a un pas que n’explique pas la fameuse « humiliation ». Bien sûr, et Mme Carrère d’Encausse a raison de le rappeler, l’histoire, la culture, la religion, les mariages ont tissé une relation unique entre l’Ukraine et la Russie. Il n’empêche. Au nom de la vieille doctrine de la souveraineté limitée pour son « étranger proche », la Russie viole les frontières de ce voisin par la force. L’Ukraine n’aurait pas la liberté de conclure un pacte commercial avec Bruxelles − qui n’est, dans l’esprit de l’Allemagne et de la France notamment, ni le prélude à son adhésion à l’Union européenne (c’est la spécificité même du « partenariat ») ni, encore moins, à l’OTAN.
Conquérant ?
Certains des griefs qu’entretiennent les Russes sur le comportement des Occidentaux dans l’après-guerre froide sont justifiés. Il reste que la politique ukrainienne du Kremlin confirme la thèse d’un Poutine obsédé par la reconstitution d’une aire sous tutelle russe. Comme si le statut de grande puissance ne se gagnait pas dans la sphère économique et sociale, mais par la domination et la conquête territoriales − celles qu’autorise une Russie en meilleur état que dans l’immédiat après-guerre froide.
Mais, même parmi les poutinologues les plus critiques, cette dernière thèse ne fait pas l’unanimité. Poutine n’est pas animé par un tropisme impérial classique, dit une troisième catégorie d’analystes : le Français Michel Eltchaninoff − auteur de Dans la tête de Vladimir Poutine (Solin/Actes Sud, 171 p., 18 €) – ou les Américains Ivan Krastev et Stephen Holmes dans la revue The American Interest (janvier/février). Il chercherait moins l’expansion territoriale que la protection idéologique.
« Il construit un  récit national  »
Il ne redoute pas tant les chars de l’OTAN (de jour en jour plus affaiblie avec l’effondrement des budgets militaires européens) que les valeurs de l’UE : l’Etat de droit, cette chose saugrenue qu’est le partage de la souveraineté nationale, le développement continu des libertés individuelles, l’obsession consumériste, la libéralisation des mœurs… Bref, tout ce que véhicule peu ou prou la mondialisation à l’occidentale. D’où la séduction que le président russe exerce, à l’Ouest, sur l’extrême droite et l’extrême gauche protestataires anti-européennes.
L’ennemi, ce n’est pas l’UE, en tant que « puissance » militaro-politique − ça n’existe pas. Ce sont les idées de l’UE, susceptibles de contaminer une classe moyenne descendue dans la rue pour s’opposer à Poutine en 2011-2012. Les idées « occidentales », ont, selon lui, manqué tuer la Russie post-guerre froide. Il « s’inscrit dans le long terme », il « construit un récit national » propre, il s’agit de réinventer un « modèle russe », dit Michel Eltchaninoff au Point, le 12 février. Poutine assume l’héritage slavophile ; « la Russie ne doit pas se définir par rapport à l’Europe occidentale », elle doit, au contraire, contrer un « soft power » européo-occidental qui l’affaiblirait. L’Ukraine doit servir de zone tampon, protéger le nouveau modèle russe, celui de Poutine, de la séduction du modèle européen.
Ce discours explique peut-être en partie la popularité du président russe. Les Occidentaux, surtout les Américains, ont toujours du mal à imaginer qu’on ne veuille pas leur ressembler. Mais brassées dans un grand samovar, l’ensemble des analyses des poutinologues n’en forment pas moins un cocktail peu rassurant.
Alain Frachon Journaliste au Monde

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Deux phénomènes peuvent amener à une manipulation dans la prise en compte des informations par notre conscience : --> Le mirage qui voile et cache la vérité derrière les brumes de la sensiblerie et de la réaction émotionnelle. --> L’illusion qui est une interprétation limitée de la vérité cachée par le brouillard des pensées imposées. Celles-ci apparaissent alors comme plus réelles que la vérité qu’elles voilent, et conditionnent la manière dont est abordé la réalité … A notre époque médiatisée à outrance, notre vigilance est particulièrement requise !
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