Contre le FN : changer de logiciel

Charlie Hebdo –  4 mars 2015 – Jean-Yves Camus –

Les propos tenus par le président du CRIF, Roger Cuklerman, sur les actes antisémites et le FN ont fait des vagues. Plutôt que de surfer sur les dites vagues, il vaudrait bien mieux s’occuper de ce que dit et fait réellement le FN. C’est à cette seule condition qu’on le combattra efficacement.

On pourrait commencer par changer les étalons de mesure du danger frontiste. Ainsi, le fait que l’antisémitisme soit devenu marginal dans le discours officiel du FN ne le « normalise » pas pour autant. Pas davantage que lorsqu’en 2007, sous l’influence d’Alain Soral, la sourdine qu’il avait mise à son obsession de l’Islam ne le rendait acceptable. Pour le juger, il faut regarder le cœur de son projet politique : le refus de l’égalité. La ligne de partage entre ce qui est acceptable et et ce qui ne l’est pas reste la préférence nationale. Il faut donc réaffirmer que tous ceux qui séjournent ici et contribuent par leur travail, leur impôts, leurs cotisations sociales à faire la France ont les mêmes droits économiques et sociaux. 

Ne plus regarder en arrière

L’autre mesure de ce qu’est le FN, c’est ce qu’il fera des « petits », des « sans », qu’ils appartiennent à une minorité visible ou non. On glose beaucoup sur les filiations historiques du parti et les « dérapages » de ses candidats, mais c’est au quotidien de la gestion des villes FN qu’il faut s’intéresser. Avec ce constat : le petit peuple en prend cher. Fermeture d’un centre social à Fréjus, fin de la gratuité des cantines scolaires au Pontet (mais 44% de hausse des indemnités du maire !), fin de l’étude surveillée du matin dans les écoles de Béziers… Ce sont les plus modestes qui trinquent, indépendamment de leur origine ou religion. Le FN ne ferait pas moins pour eux que les autres ?

Ferait-il au moins en sorte que les citoyens soient plus écoutés ? Bien sûr, vous dira-t-il : la démocratie directe, le modèle suisse… Mais, outre que la Confédération helvétique laisse plus de pouvoirs à l’UBS et à la bourgeoisie d’affaires qu’à la caissière de chez Migros, il y a maldonne sur le mode de participation aux affaires que le FN entend instaurer. Il pourrait en effet convoquer les Français tous les quatre matins par référendum et en même temps supprimer les conseils de quartier, les expériences de budget participatif, les subventions aux associations. Le corps électoral serait appelé aux urnes comme on appelle à se rendre aux commémorations : une fois que c’est fini, chacun rentre chez soi content du devoir accompli, en sachant que rien ne changera.

Un dernier point : arrêtons de comparer Marine Le Pen à son père. Un jour, celui-ci quittera la scène pour de bon. Plus de petites phrases, d’allusions complotistes, de divergences avec sa fille dont on peut faire des jours durant l’exégèse. On ne pourra éternellement comparer la parole du parti à ce que disait le défunt dans des temps déjà lointains, les années 1980… L’hypothèse d’un FN parvenant au pouvoir, au moins local ou régional, est désormais vraisemblable. Elle ne sera contrecarrée que si nous cessons de regarder dans le rétroviseur pour nous mettre à lire enfin son programme de 2015 et à le démonter en faisant de la politique.