Pas besoin d’élites pour le racisme

Charlie Hebdo – 11/03/2015 – l’édito de Riss
Le Front national vient de suspendre un de ses candidats aux départementales dans la Sarthe pour avoir assimilé homosexualité à la zoophilie, lors du conseil municipal du Mans du 26 février. Ce n’est pas la première fois que les élus ou militants du Front disent tout haut ce que ce parti pense tout bas.
Aux élections départementales, le Front national va présenter des candidats dans plus de 93% des cantons. Pour atteindre ce chiffre, le parti d’extrême droite, qui souffre d’un manque de cadres, a puisé parmi ses militants de base pour présenter des candidats un peu partout. Malheureusement, bien peu d’entre eux possèdent les codes pour bien faire de la politique en démocratie. Ils disent ce qu’ils pensent au nom du parler-vrai, par opposition à la langue dite « de bois » des élites, qu’ils exècrent. Le résultat de cette parole qui se proclame décomplexée est souvent catastrophique. Telle candidate compare la ministre de la justice à un singe, telle autre estime que la race blanche est supérieure à la race noire, la liste des énormités racistes prononcées par ces militants du terroir FN est déjà bien remplie et n’a pas fini de s’allonger.
Jean-Marie-Le-Pen-et-ses-dobermans_portrait_w858Hier, Jean-Marie Le Pen, en tant que mâle dominant de la meute du FN, se réservait le droit exclusif de prononcer des phrases scandaleuses, comme « un point de détail de l’histoire« , ou des jeux de mots infects, tel que « Monsieur Durafour crématoire » Aujourd’hui, c’est le militant de base qui use de cette pratique, comme si le Front national avait démocratisé l’ignoble. Désormais, ce n’est plus l’exclusivité du chef, mais le droit de tous les militants, malgré quelques sanctions disciplinaires, dont les effets dissuasifs sont visiblement nuls.
La haine, tout un programme
De Jean-Marie Le Pen, jeune député poujadiste en 1956, à Marine-sa-fille, le Front national a toujours haï les élites, les corps intermédiaires, dans la tradition de l’extrême droite française de Barrès et de Maurras, qui ont toujours vomi l’Assemblée nationale, ses députés et le parlementarisme en général. L’une des missions du parlementaire est de porter la parole du peuple tout en respectant les règles de la démocratie représentative et les valeurs de la République. Tout le contraire de la conception du débats d’idées de l’extrême droite, démagogique, outrancière et stigmatisante.  
On peut reprocher à cette démocratie représentative de créer ainsi une catégorie de citoyens un peu particulière, les élus, qui, mandatés pour porter la parole du peuple, se l’approprient, au risque de la dénaturer et parfois même de la détourner. Mais l’autre solution, celle de la démocratie directe sans représentants, peut conduire à ce que le Front national encourage, une parole irresponsable, haineuse, tel un torrent de boue comparable à ce qu’on peut parfois lire sur Internet, où les propos les plus orduriers s’expriment sans l’intervention d’aucun modérateur.
Entre la démocratie représentative, quasiment réservée aujourd’hui aux professionnels de la politique et leurs travers, et le bistrot du commerce du FN, il faut choisir. Mais entre un inconvénient et une ignominie, a-t-on vraiment le choix ? C’est ce genre d’alternative biaisée qui souvent irrite le citoyen en démocratie : n’avoir le choix qu’entre le pire et le moins pire. Et, en l’espèce, mieux vaut des politiques qui connaissent les codes de la démocratie que des piliers de comptoir.
L’UMP avait déjà ouvert la boîte de Pandore quand Sarkozy avait lancé son grand débat sur l’identité nationale Le résultat fut un déferlement de propos racistes, xénophobes, anti-immigrés, auquel les cadres de l’UMP, affolés, ne savaient plus comment mettre fin. Les « vraies » gens avec leurs paroles « vraie » disent souvent de « vraies » saloperies. 
140528-FN-contre-deligneLe Front national n’a pas suffisamment de cadres pour contrôler les paroles injurieuses de a base. Pour un Florian Philippot propre sur lui, énarque formé par les élites, combien de militants racistes, antisémites, dignes de posséder leur carte du Ku Klux Klan ?   Le Front national est face à un dilemme. Est-ce que sa haine des élites sera plus forte que sa frénésie de pouvoir ? Car, pour atteindre le pouvoir suprême, il devra se doter d’élites qu’il a toujours méprisées. Il devra abandonner son discours anti-élites ou tout au moins le dissimuler. Mais si sa haine des élites est la plus grande, il laissera son destin aux mains des militants de base les plus crétins et n’obtiendra pas grand chose électoralement, à part quelques mandats locaux de-ci de-là.
Jean-Marie Le Pen qui n’avait jamais vraiment cherché à atteindre le pouvoir, avait fait ce choix, et préférait en échange garder le loisir de prononcer de temps en temps ces fameuses petites phrase qui étaient autant de repoussoirs. Sa fille semble avoir changer de stratégie. On peut changer de stratégie. Mais changer les militants ça va être beaucoup plus difficile.

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A propos werdna01

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