Inde et Chine rivalisent dans l’océan Indien

LE MONDE | 11.03.2015 |
L’Inde vogue vers la blue diplomacy. Le premier ministre indien, Narendra Modi, a entamé, mardi 10 mars, une visite de cinq jours aux Seychelles, à l’île Maurice et au Sri Lanka, pour maintenir une influence dans une région menacée par l’expansion chinoise.
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Narendra Modi (à droite) et le président du Sri Lanka, Maithripala Sirisena, le 16 février, à New Delhi. PRAKASH SINGH / AFP
L’océan Indien, « que nous appelons notre maison », a déclaré M. Modi avant son départ, est « vital pour la sécurité et le progrès de l’Inde ». Dès son arrivée au pouvoir en mai 2014, M. Modi avait prévenu qu’il souhaitait resserrer les liens entre son pays et ses voisins. Obsédée par ses frontières terrestres, notamment en raison d’une partition sanglante née de l’indépendance, puis de sa rivalité avec le Pakistan, New Delhi en avait fini par négliger ses voisins insulaires.
L’Inde, passage obligé
La géographie reprend ses droits sur l’histoire. Le pays, bordé par 7 500 kilomètres de côtes, compte davantage de voisins maritimes que terrestres, et il se trouve surtout au milieu d’un vaste océan qui s’étend des côtes africaines jusqu’à l’Australie, abritant le tiers de la population mondiale et environ 30 % des réserves de gaz et de pétrole de la planète. Il est enfin un passage obligé dans le commerce maritime entre l’Europe ou l’Afrique et l’Asie.
A peine l’Inde était-elle née que son premier dirigeant, Jawaharlal Nehru, insistait sur la nécessité de conserver une influence dans cette région : « Nous ne pouvons pas nous permettre d’être faibles sur les mers, l’histoire a montré que quiconque a contrôlé l’océan Indien a eu, en premier lieu, le commerce maritime à sa merci, puis l’indépendance même de l’Inde. »
Des décennies plus tard, voilà que la Chine cherche justement à s’infiltrer discrètement dans l’arrière-cour indienne. « Delhi a négligé pendant trop longtemps ses voisins maritimes, et la Chine en a profité pour étendre son influence », reconnaît un diplomate indien. Les Seychelles et le Sri Lanka n’avaient pas reçu la visite d’un premier ministre indien depuis, respectivement, trente-quatre et vingt-huit ans.
Plan Marshall chinois
Pendant ce temps, Pékin a distribué avec générosité aux petits Etats insulaires des lignes de crédit pour la construction d’infrastructures. La Chine a essaimé autour de la péninsule indienne, et le plus proche possible de ses façades maritimes, des installations portuaires civiles, de Gwadar, au Pakistan, à Kyaukpyu, en Birmanie, en passant par Chittagong, au Bangladesh.
Depuis la fin 2013, Pékin promet encore mieux : la « prospérité partagée » à tous les Etats qui participeront à la création d’« une route de la soie maritime » avec, à la clé, près de 40 milliards de dollars d’investissements. Une sorte de plan Marshall chinois pour ceux qui acceptent de s’arrimer à la première puissance commerciale mondiale.
Sauf qu’à Delhi la promesse de « prospérité partagée » a du mal à passer. C’est l’étranglement que l’on redoute, surtout depuis que Pékin a commencé à doubler sa présence économique d’une présence militaire. En octobre 2014, l’armée chinoise a stationné un sous-marin au Sri Lanka, à quelques kilomètres des côtes indiennes, déclenchant l’ire de New Delhi. Pékin utilise également les Seychelles comme port de ravitaillement pour ses navires engagés dans des opérations de lutte antipiraterie au large de l’Afrique.
Pas les mêmes moyens financiers que Pékin
Toute la difficulté pour l’Inde consiste à regagner son influence dans l’océan Indien sans y consacrer les mêmes moyens financiers que la Chine… dont elle ne dispose pas. M. Modi va inaugurer des stations de contrôle radar aux Seychelles, au passage garder un œil sur cette partie de l’océan, et signer des accords de défense. Il va livrer à l’île Maurice son premier navire militaire vendu à l’étranger, le Barracuda, et conclure des accords commerciaux.
La visite prévue de M. Modi aux Maldives a été annulée in extremis, une manière toute diplomatique de protester contre l’arrestation, fin février, de l’ancien président Mohamed Nasheed. L’Inde mise aussi sur un atout que la Chine n’a pas : sa diaspora, comme sur l’île Maurice. La fête nationale de l’île, à laquelle a été convié M. Modi le 12 mars, a été choisie comme date anniversaire de la marche du sel entreprise par le Mahatma Gandhi en 1930, étape-clé vers l’indépendance de l’Inde.
Reste pour l’Inde à saisir les opportunités politiques qui s’offrent à elle. Le nouveau président du Sri Lanka, Maithripala Sirisena, élu en janvier, a pris ses distances avec la Chine, et son gouvernement a annulé un contrat chinois de 1,5 milliard de dollars de construction d’un complexe immobilier à Colombo, la capitale. New Delhi devrait débloquer des lignes de crédits pour la construction d’infrastructures sur l’île.
L’Inde pourra toutefois difficilement se sentir « à la maison » et asseoir son influence dans ce vaste océan si elle ne renforce pas ses forces navales. Quelques jours avant le début du « Modi Tour », le gouvernement a donné son feu vert à l’acquisition de six sous-marins nucléaires, alors qu’elle n’en dispose que de deux actuellement, et de sept nouvelles frégates. Mais avec ses quarante-neuf frégates et ses soixante sous-marins, la Chine peut continuer à voguer sur les eaux de l’océan Indien sans trop d’inquiétude.
Julien Bouissou (New Delhi, correspondance) Journaliste au Monde
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