LE MONDE | 04.04.2015 Par Daniel Psenny
Ils s’appelaient Miia, Stella, Placid ou Zofia
Lituaniens, Ukrainiens, Polonais, Russes ou Hongrois, ils sont les derniers rescapés et témoins du goulag. Entre les années 1930 et l’après-guerre, ils furent les victimes des Soviétiques qui, sous les ordres de Staline, ont pratiqué la torture et la déportation de tous ceux qui tentaient de s’opposer à la conquête de nouveaux territoires du bloc de l’Est.
Ainsi, de 1939 à 1950, c’est près d’un million d’Européens (hommes, femmes et enfants) issus des pays annexés après les accords de Yalta, faussement accusés de nationalisme ou d’espionnage, qui furent déplacés de force dans les camps de travail ou installés comme colons en Sibérie et en Asie centrale.
Irina Tarnavska, assise à droite, avec la chorale de son école dans le village de déportation du kilomètre 25, région de Tomsk en Sibérie. Irina Tarnavska
C’est leur histoire tragique et ces terribles « années goulag » que racontent Valérie Nivelon, journaliste à Radio France Internationale (RFI), et Christine Robert, réalisatrice à France Culture, dans leur passionnante série documentaire inédite réalisée à partir des archives sonores européennes du goulag.
Ces dernières rassemblent plus de 160 témoignages recueillis en 11 langues en Europe centrale et orientale, par une équipe de 13 chercheurs de 8 nationalités différentes, coordonnée par le Centre d’études des mondes russe, caucasien et centre-européen (Cercec). S’appuyant sur ces témoignages et sur l’expertise de conseillers scientifiques et d’historiens comme Alain Blum et Marta Craveri, les deux auteures donnent la parole aux derniers témoins du goulag qui, comme les rescapés de la Shoah, se sont tus pendant de longues années par crainte qu’on ne croie pas leur histoire.
La mémoire intacte
Leurs voix sont parfois hésitantes, mais la mémoire est intacte. Qu’ils s’appellent Antanas, Miia, Irina, Placid, Stella ou Zofia, tous se souviennent de leur arrestation, souvent la nuit, du départ précipité, de l’effroi, de l’incompréhension et du terrible voyage vers l’inconnu.
Au bout du quai, il y a la faim, le froid et la peur. La plupart voient leurs parents ou leurs enfants disparaître. Il faut s’organiser, survivre et résister. Et surtout, être solidaires. Ainsi, le Hongrois Placid Olofsson, père bénédictin arrêté à l’âge de 30 ans et longuement torturé à Budapest avant d’être déporté, raconte, avec un certain humour, comment il a soutenu ses compagnons issus de toutes les nationalités en célébrant des messes clandestines.
Pour apaiser les peurs, il a aussi imposé quelques règles de conduite : ne pas dramatiser la souffrance, se rappeler les petites joies du jour et ne jamais se penser « innocent » mais plutôt « momentanément vaincu ». Beaucoup de témoignages sont poignants, notamment celui de Zofia, arrêtée à l’âge de 8 ans en Pologne, et celui de Stella, déportée au Kazakhstan à 11 ans, qui va survivre grâce au spectacle de la taïga.
Cet important travail de mémoire diffusé sur RFI et France Culture tout au long du mois d’avril est accompagné d’un supplément numérique exceptionnel, « Autoportrait du goulag », disponible sur les sites Internet des deux radios. Réalisé à partir des photos de Rimgaudas Ruzgys, survivant du goulag, ce portfolio interactif raconte ses années de déportation passées en Sibérie et permet de comprendre ce que fut la terreur stalinienne.