Politique – L’art de tuer le père : un grand classique

LE MONDE | 10.04.2015 à 10h46 | Par Françoise Fressoz
Il fallait bien que cela arrive un jour : Marine Le Pen tuant le père, un grand classique en politique. Rien que dans l’histoire récente, trois cas : Pompidou rompant avec de Gaulle, Jospin avec Mitterrand, Sarkozy avec Chirac. Trois meurtres plus ou moins revendiqués, plus ou moins brutaux, mais exprimant la même nécessité vitale : couper le cordon pour vivre avec son temps et assurer le renouvellement de son camp.
Et, de fait, la droite de Pompidou n’a plus été celle de De Gaulle, l’UMP de Sarkozy n’a plus ressemblé au RPR de Chirac, le Parti socialiste de Lionel Jospin a dynamité les courants qui sévissaient sous Mitterrand. Ces trois hommes ont rompu pour incarner l’ère du changement. C’est ce que cherche aujourd’hui à faire Marine Le Pen en proclamant pour la première fois « la rupture ».
Contrairement au fondateur du parti, la présidente du Front national veut gouverner le pays, et le plus tôt possible. Elle a pour cela défini une ligne stratégique et un positionnement économique qui ne sont pas ceux du FN originel, mais qui ont démontré leur efficacité depuis qu’elle a pris les rênes de son parti, en 2011.

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Elle a d’abord agi dans l’ombre de son père, car cette ombre portait loin. Aujourd’hui, elle se sent suffisamment en dynamique dans le pays et assez assurée de ses arrières au FN pour oser affronter Jean-Marie Le Pen et tenter de couper court aux provocations, qu’il multiplie comme autant de haies sur son chemin.
La nièce en embuscade
Certes, la rupture est douloureuse, mais elle l’assume en faisant le pari que le parti et, un jour, les électeurs lui donneront raison. Mais tout se complique en raison du caractère très particulier du FN, qui n’est pas un parti politique comme un autre, mais encore et toujours un clan familial où le père politique est aussi le paterfamilias. A partir de là, le drame prend une dimension qui n’est plus seulement politique mais personnelle et symbolique.
Ce que pratique la fille est un parricide, auquel son vieux père de 86 ans l’a acculée sans que l’on sache si ses motivations relèvent de la malignité ou, comme le dit sa fille, de « la stratégie de la terre brûlée » ou « du suicide politique ».
al'affutChat-affutEt, pour corser le tout, un troisième membre de la famille, Marion Maréchal-Le Pen, est en embuscade, qui peut aider sa tante ou au contraire lui faire porter le chapeau pour toute cette violence familiale qui se déchaîne au moment même où le parti cherche à s’imposer, selon les termes de sa présidente, comme « le seul outil d’espérance pour la France ». On n’y est pas vraiment. La famille Le Pen et ses drames à rebondissements font plutôt penser aux Atrides, les rois maudits de Mycènes, qui pratiquaient, entre autres joyeusetés, le meurtre et le parricide.
apatrick_buisson_ardent_455.png téléramaComme normalisation, on fait mieux ! Et cela tombe au moment précis où Nicolas Sarkozy, le vieil ennemi de Marine Le Pen, l’homme qui lui dispute l’alternance, est en train, tout sucre, tout miel, de réinstaller son leadership sur la famille UMP. Lui a compris. Il a appris à gommer toute la violence qu’il a en lui et qui avait fini par le transformer en repoussoir. Au lieu du loup, l’agneau. A bon entendeur, salut !
Françoise Fressoz éditorialiste

A propos kozett

Deux phénomènes peuvent amener à une manipulation dans la prise en compte des informations par notre conscience : --> Le mirage qui voile et cache la vérité derrière les brumes de la sensiblerie et de la réaction émotionnelle. --> L’illusion qui est une interprétation limitée de la vérité cachée par le brouillard des pensées imposées. Celles-ci apparaissent alors comme plus réelles que la vérité qu’elles voilent, et conditionnent la manière dont est abordé la réalité … A notre époque médiatisée à outrance, notre vigilance est particulièrement requise !
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