26.04.2015 | Par Véronique Mortaigne (Bourges) »
Quand bien même Juliette Gréco répète qu’elle s’en va, que c’est là sa dernière tournée, on ne la croit pas. De la chanteuse, née de la confrontation de la France avec son futur après le chaos de la seconde guerre mondiale, on dira qu’elle nous est nécessaire. Que, en bons amoureux des arts et de la musique, au sens large, on ne peut imaginer vivre sans elle. Elle a beau dire que l’âge creuse les soucis, que la dignité est une affaire de classe – on en a, ou pas -, Gréco est une bien-aimée, parce qu’elle est comme elle est. A 88 ans comme à 20. Et quand elle chante “ Déshabillez-moi“ avec l’autorité qui lui sied si bien, elle envoie les tiédasses contemporaines se rhabiller sans appel.
Et voilà la lâcheuse qui ouvre magnifiquement vendredi 24 avril le Printemps de Bourges-Crédit Mutuel, dans la salle du Palais d’Auron, là même où, en 1991, elle avait causé des frayeurs à tout le monde en faisant un malaise après quatre chansons. Avant d’achever son récital l’année suivante, sans faiblir. Pétillante sexagénaire, elle avait au préalable croisé le fer en conférence de presse avec les nouveaux amis qu’elle s’était faits dans la capitale berrichonne, les rappeurs de NTM, JoeyStarr et Kool Shen. « Nous nous sommes très bien entendus, dit Juliette Gréco à sa sortie de scène ce vendredi. C’est normal, nous sommes les mêmes, nous parlons le même langage. » Celui de l’indiscipline.
Le geste aérien
Juliette Gréco a offert au festival berruyer la première date de sa tournée d’adieu, intitulée ” Merci “. Pendant le concert, on entend l’écho des basses du duo australien Angus & Julia Stones, programmés au W, le grand chapiteau voisin. Gréco en est troublée, comme par un « troisième musicien », dit l’interprète qui s’appuie sur un piano (Gérard Jouannest, son mari) et un accordéon (Jean-Louis Matinier).
Le Printemps de Bourges est un peu nerveux aussi. En principe, tout commence avec tranquillité en milieu de semaine pour finir en apothéose le week-end. En 2015, pour cause de zones de vacances scolaires et de 1er Mai, l’ouverture des festivités a été fixée au vendredi soir, jour de fêtards. C’est troublant. Ça tend. Ça peut casser. Et Gréco aussi peut chuter, mais les grands artistes aux appétits d’ogre savent gérer les peurs, les calmer en équilibristes.
Au Palais d’Auron, Juliette Gréco a hérité de la grande loge « rock », avec « guitar hero » en peinture murale – l’autre est ornée d’un portrait d’elle. Elle aime – le rock, la guitare. Elle a le teint pâle, elle est drapée dans sa robe de velours noir qui lui a tenu chaud, trop chaud. Au point qu’elle a dû faire une pause avant d’entonner, presque à la fin, comme à son habitude, J’arrive, interpellation effrontée de la mort, écrite par Jacques Brel et Gérard Jouannest.
Les responsables de scène s’en veulent de ne pas avoir pensé à mettre des ventilateurs. Et elle s’en veut. Elle dit qu’elle est nulle, alors qu’elle a été sublime, mais nous avons en tête une confidence qu’elle nous avait un jour faite : sa mère, qui ne l’aimait pas, et ce spectre qui, même quand elle est adorée des êtres les plus riches, les plus élégants, susurre à l’enfant qui vit en elle : « Tu es nulle. »
Elle chante « Les vieux » de Brel et c’est gonflé quand on est presque nonagénaire