Comment les banques arnaquent le client à découvert

Le Canard Enchaîné – 6 mai 2015 – Hervé Martin –
La loi protège les emprunteurs, mais les banquiers s’assoient dessus. Manuel du parfait escroqué.
dc3a9couvertVous en avez marre des taux de découvert à plus de 15% Vous n’êtes pas le seul. Des milliers de clients des grandes banques de dépôt pestent, chaque jour, en découvrant sur leur relevé les ponctions effectuées sans explication intelligible. Ils ignorent, le plus souvent, que ces prélèvements sont pour la plupart illégaux. Et qu’il suffirait de saisir un tribunal pour voir l’établissement condamné à rembourser. C’est ce qu’affirme, jugement à l’appui, le cabinet parisien Delaporte Conseil, qui travaille essentiellement avec les entreprises en règlement judiciaire. Pour un particulier, encore faut-il que le jeu en vaille la chandelle. Les banques jouent sur le velours : une procédure judiciaire est un calvaire.
L’autorité de contrôle prudentielle et de résolution (ACPR), le gendarme des banques, a pour sa part mené, à la fin de 2014, une enquête confidentielle sir le taux effectif global (TEG) annoncé dans les contrats de prêt. Ce taux doit prendre en compte tous les frais facturés par les banques à leurs clients. Il s’agit d’une donnée fondamentale pour l’emprunteur, qui peut ainsi comparer les offres des différentes banques et faire jouer la concurrence. Un peu comme les étiquettes dans les supermarchés. « Les résultats de l’enquête, a expliqué l’ACPR au « Canard », ont permis de constater que certains calculs [des banques] étaient erronés. »
Or, la loi prévoit que, si une banque mentionne sur le contrat un taux ne correspondant pas au coût réel payé par le client, celui-ci est en droit d’exiger l’application du taux légal – actuellement moins de 1% par an -, très inférieur aux taux actuels du marché (environ 3% pour l’immobilier et jusqu’à 20% pour les découverts sur les comptes courants des particuliers). Et, en prime, la banque doit rembourser à son client ce qu’il a payé au-dessus du taux légal durant les cinq dernières années. Un enjeu d’environ 5 milliards par an estime le cabinet Delaporte. Un calcul très théorique, puisque les banques trichent sans vergogne, le plus souvent en toute impunité. Petit manuel de l’arnaque et revue de détail des astuces.
Les frais au frais
taxesPour présenter un TEG flatteur et concurrentiel, la banque est tentée d' »oublier » quelques postes quand elle calcule le taux affiché.Elle n’inclura pas, par exemple, les frais d’hypothèque ou de caution. Ou alors les primes d’assurances, les commissions des courtiers. Ou encore les commissions d’intervention. Il y en a pour tous les goûts. « Ces dernières années, il y a eu une explosion du nombre de commissions et donc la tentation grandissante d’en oublier« , explique Yves Delaporte. Les banques profitent aussi de l’hésitation des tribunaux, certains stipulant que tels frais doivent être inclus, d’autres estimant le contraire. « Il faut que la loi clarifie ce que doit comprendre le TEG« , confirme une porte-parole de la banque de France. Il serait temps, en effet : la Cour de cassation a condamné le Crédit foncier, le 26 novembre 2014, pour une erreur de TEG de 0,0017 % !
Bonne année
Chez votre banquier, l’année ne dure que 360 jours, au lieu de 365 ou 366. Une fantaisie inventée depuis le moyen-âge, par les banquiers lombards, et adoptée par la quasi-totalité des établissements. A elle seule, cette petite différence majore le taux de 0,14%. Autrement dit, sur un découvert de 100 euros annoncé à 10%, l’intérêt annuel à régler sera de 10,14 euros et non de 10 euros. « Les banques sont libres de se fonder sur une année de 360 jours« , commente un expert de l’Association française des banques. A condition de le préciser dans le contrat. Mais, cette petite bizarrerie étant mentionnée en petits caractères dans les conditions générales du contrat, le client n’en saisit pas la portée. L’article 1907 du Code civil oblige la banque à annoncer le taux payé effectivement sur une année civile complète Pas vu, pas pris…
Dates de voleurs 
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Grand classique des manipulations comptables, la durée des découverts est souvent calculée non sur la date d’opération, mais sur la date de valeur. Le compte du client est censé avoir été en découvert deux jours avant qu’il se soit vraiment, et il est considéré comme positif deux jours après avoir été effectivement crédité. L’intérêt est alors prélevé sur cinq jours , pour une seule journée effective de découvert. Cette pratique est strictement interdite par un arrêt de la Cour de cassation du 6 avril 1993. Cela n’empêche pas la majorité des banques d’y avoir allègrement recours. 
Tant que le client encaisse le coup sans broncher, c’est la banque qui encaisse le bonus.
La tête à taux taux  Les libertés prises par les banques avec la loi ne semblent pas émouvoir grand monde. « Les clients de banques, faute de moyens de calcul, sont peu armés pour contester les taux qui leurs sont appliqués« , affirme le cabinet Delaporte. En revanche, les mandataires de justice pour lesquels nous travaillons y sont très attentifs. Nous contestons environ 1 500 dossiers de taux par an, et nous gagnons dans les trois quart des cas. » 
Cela ne va peut être pas durer. Car la réglementation est de plus en plus clémente. Depuis la loi du 1er août 2003, le dépassement du taux de l’usure par une banque n’est plus délit, mais une simple faute civile. Et une banque qui se fait prendre n’est plus contrainte de rembourser ce qu’elle a perçu au-dessus du taux de l’usure. Ça vaut toujours le coup d’essayer.   Le gouvernement Ayrault avait même tenté, en 2014, de satisfaire une vieille revendication des banques, en les exonérant de toute sanction encas d’erreur sur le taux d’intérêt annoncé au client. Le Conseil constitutionnel avait retoqué la mesure pour une raison de procédure. Il n’est donc pas exclu de voir revenir,sous une forme ou une autre, cette discrète amnistie bancaire.    

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