Une relaxe assassine prononcée pour Eric Woerth l’innocent

Le Canard Enchaîné – 3 juin 2015 – Louis-Marie Horeau – 

Le tribunal de Bordeaux taille un costume sur mesure à l’ex-trésorier de Sarkozy, avant de baisser les bras: il n’a pas de preuves…

Plus innocent qu’Eric Woerth, tu meurs ! L’ancien ministre et ex-trésorier de la campagne présidentielle de Sarkozy a élevé la figure de l’innocence jusqu’au sublime. Chez lui, c’est une seconde nature. Presque une profession. Innocent dans l’affaire de la vente de l’hippodrome de Compiègne. Innocent dans le financement de la campagne présidentielle. Innocent, encore, c’est son plus récent triomphe, dans l’attribution de la Légion d’honneur à Patrice De Maistre, l’ancien gestionnaire de fortune de Liliane Bettencourt. Il était accusé d’avoir, pour ainsi dire, échangé cette décoration contre l’embauche de son épouse, Florence, par De Maistre. La justice ayant fait litière de ces infâmes soupçons, Woerth a invité ses accusateurs à lui faire amende honorable. Sarkozy lui-même – une référence en matière d’innocence -, l’a présenté, dimanche, au congrès des Républicains, comme le plus grand honnête homme que la Terre ait jamais porté. Et lui a confié la tâche de rédiger le programme des « Rep »(lire Républicains).

Regrets éternels

Bien que Woerth ait perdu en première instance comme en appel, il a intenté au « Canard » un procès en diffamation… Et celui-ci donne à ses lecteurs des précisions sur les motifs de la relaxe dont Woerth a bénéficié. Annoncer la décision, c’est bien. L’expliquer, c’est mieux. Voici comment les juges ont rendu justice à l’ancien trésorier de Sarkozy : 

Première question : l’épouse Eric Woerth a-t-elle été embauchée par faveur ? Le tribunal est un peu gêné : il « ne peut que relever le recrutement atypique de Florence Woerth ». « Atypique » est le mot juste, que les juges justifient ainsi :

1) « A aucun moment sa candidature n’a été examinée par le cabinet » de recrutement. 2) « La candidature recherchée est celle d’un junior, et Florence Woerth a un profil de senior. » 3) « Les huit candidats reçus par Proway (le cabinet de recrutement) sont des juniors. 4) « La rémunération de Florence Woerth est sans rapport avec le profil initialement recherché (…). » 

Bref, cette embauche est des plus bizarres, pour ne pas dire suspecte.   

Un trésorier indigent 

Deuxième question : l’attribution de la Légion d’honneur à Patrice De Maistre, celui-là même qui a embauché Florence, était-elle normale et légitime ? Au terme d’une analyse minutieuse, les juges relèvent que De Maistre « pouvait avoir vocation à obtenir la Légion d’honneur ». Mais Eric Woerth est intervenu « dans un cadre tout à fait atypique« . Et le tribunal ajoute : « Eric Woerth a profité de sa qualité de trésorier de la campagne pour favoriser l’obtention » de cette décoration. Et ce, martèlent les magistrats qui aiment cette formule, « dans des conditions totalement atypiques« .

Bigre ! Voilà notre innocent en bien fâcheuse posture ! Mais non, rassurez-vous. Dans sa sagesse, le tribunal observe que, si l’embauche de Florence est étrange et la Légion d’honneur de De Maistre insolite, « il n’est pas démontré l’évidence d’un pacte de corruption » qui ferait que ceci explique cela. Pas de preuve : relaxe On applaudit bien fort. 

Cette belle et grande victoire judiciaire a malheureusement occulté une autre décision qui mérite pourtant d’être analysée et commentée. Le tribunal donne acte à Eric Woerth qu’il n’a pas touché la moindre enveloppe des Bettencourt. C’est là une extraordinaire révélation. De Pompidou à Chirac, en passant par Giscard, Barre, Balladur et Mitterand, les hommes politiques de tous les partis – UNR, UDR, RPR, PR, UDF, UMP, PS – ont bénéficié des largesses de feu André Bettencourt, grand ordonnateur de distributions, naturellement dosées selon affinités politiques, intérêts bien compris et anticipations. Tous sauf un : Sarkozy. Bien qu’il soit établi qu’il a rendu en personne des visites de courtoisie à Liliane Bettencourt, dont on dit qu’elle poursuivait l’œuvre généreuse de son défunt mari, l’ex n’aurait, c’est la justice qui le dit, pas touché un rond. Et son incapable de trésorier, un certain Eric Woerth aurait fait chou blanc ! 

Le voilà seul, à cette fonction, à n’avoir rien obtenu des Bettencourt. Un exploit vraiment extraordinaire.