Turquie – L’électorat a donné, dimanche 7 juin, un coup d’arrêt à la dérive autocratique du chef de l’Etat, Recep Tayyip Erdogan

 Edito LE MONDE | 08.06.2015

L’échec d’Erdogan, une bonne nouvelle

Dans sa grande sagesse, l’électorat turc a donné, dimanche 7 juin, un coup d’arrêt à la dérive autocratique du chef de l’Etat, Recep Tayyip Erdogan. Bonne nouvelle pour la Turquie, mais pour l’Europe aussi : le poids de ce pays compte dans les équilibres entre le Vieux Continent et un Moyen-Orient en fusion. Ce scrutin législatif ouvre la possibilité de lendemains prometteurs pour une nation de 75 millions d’habitants, associée à l’Union européenne et membre de l’OTAN.
Le résultat est d’abord un échec personnel pour M. Erdogan.Elu en août 2014 à la présidence, après avoir été premier ministre durant douze ans, il avait transformé ces élections législatives en un référendum sur son avenir politique. Il voulait une majorité des deux tiers (400 sièges) au Parlement pour changer la Constitution. Celle-ci, de type parlementaire, fait du premier ministre le chef de l’exécutif et cantonne le président dans un rôle symbolique. Pour continuer à diriger la Turquie, M. Erdogan entendait obtenir le vote d’une nouvelle Loi fondamentale, instaurant un régime présidentiel – une façon de solliciter les pleins pouvoirs.
Ce désaveu porte avant tout sur la dérive autoritariste de Recep Tayyip Erdogan
Les électeurs ont dit non sur ce point précis. Le Parti de la justice et du développement (AKP) de M. Erdogan reste, de loin, le premier parti de Turquie, mais, pour la première fois depuis 2002, il perd la majorité absolue des sièges, avec 258 élus sur 550. Assez massif, ce désaveu porte avant tout sur la dérive autoritariste d’un homme qui, ces dernières années, grisé par le succès, emporté par un ego plus grand que le plateau anatolien, était en passe de se transformer en sultan autocrate à fortes tendances islamo-conservatrices.
Percée du parti kurde, le HDP
La deuxième leçon, « historique » celle-là, du scrutin est la percée des Kurdes dans la représentation parlementaire. Ils comptent pour 15 % du pays, mais leurs élus ne siégeaient, jusque-là, qu’au titre d’ « indépendants ». Cette fois, piloté par un avocat de talent, Selahattin Demirtas, 42 ans, le parti kurde, le HDP (Parti de la démocratie des peuples), entre au Parlement, où il devrait disposer de près de 80 députés.
Totalement soumis à M. Erdogan, le premier ministre, Ahmet Davutoglu, peut chercher à former une majorité de coalition avec l’un des partis d’opposition. Il peut aussi choisir de former un gouvernement minoritaire.
Ce qu’il ne pourra faire, c’est ignorer le signal, l’avertissement, adressé par le vote de dimanche. Une fraction de plus en plus forte de l’électorat dénonce un « Etat AKP » miné par les années de pouvoir, la corruption, et, sous l’impulsion de M. Erdogan, par une volonté de soumettre tous les contre-pouvoirs institutionnels ou autres : justice, police, presse.
Derrière chaque difficulté, le président dénonce un complot – de certains de ses anciens alliés de la mouvance islamo-conservatrice, des juifs, des banques, de l’étranger, etc. Au fil des mois, un discours de plus en plus intolérant et religieux a fini par inquiéter nombre de secteurs d’une société ouverte et tolérante.
C’est un rééquilibrage en profondeur qui est en cours, contre une forme d’islamisation rampante, avancée sous couvert d’ambition néo-ottomane, dans une Turquie trop complexe et diversifiée pour ne pas réagir. Elle l’a fait dimanche, dans le bon sens, au risque d’une certaine instabilité gouvernementale et économique, mais, signe de grande maturité, dans la paix des urnes.

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Deux phénomènes peuvent amener à une manipulation dans la prise en compte des informations par notre conscience : --> Le mirage qui voile et cache la vérité derrière les brumes de la sensiblerie et de la réaction émotionnelle. --> L’illusion qui est une interprétation limitée de la vérité cachée par le brouillard des pensées imposées. Celles-ci apparaissent alors comme plus réelles que la vérité qu’elles voilent, et conditionnent la manière dont est abordé la réalité … A notre époque médiatisée à outrance, notre vigilance est particulièrement requise !
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