Nos bons maîtres

Charlie Hebdo – 10 juin 2015 – Gérard Biard –
L’information, curieusement peu relayée, tient en quelques signes dans Libération, moins qu’il n’en faut pour un tweet, en ouverture d’un article con,sacré aux entreprises des pays du G7 qui ruinent l’Afrique grâce à « l’optimisation fiscale ». Elle mérite portant qu’on s’y attarde et qu’on lui accorde toute notre attention. 
Riche-cigareDésormais, dans le palmarès des 100 plus grandes économies mondiales, les États sont minoritaires : 51 sont des multinationales. La valeur boursière d’Apple, par exemple, qui pèse 725 milliards de dollars, est supérieure au PIB de la Suisse ou de la Suède, que l’on peut difficilement qualifier des pays pauvres… Et le fait que les plus importants de ces géants financiers sont basés aux États-Unis ne signifie pas pour autant qu’Obama est le maître du monde, car ces multinationales sont par essence aux dessus des États, qu’elles survolent avec la plus cynique des désinvoltures, quand elles ne cherchent pas à les assécher.
En soi, ce n’est pas vraiment un scoop. Mais, alors que le pitoyable feuilleton de la la « négociation » de la dette grecque est reconduit de semaine en semaine, – nous avons là un pays certes rongé par la corruption, mais dont la ruine est aussi, en grande partie, imputable aux manœuvres des banques et d’acteurs financiers privés auxquels on se refuse toujours à réclamer des comptes -, garder en mémoire que plus de la moitié des grandes puissances économiques mondiales sont aujourd’hui des sociétés multinationales souvent affranchies de la tutelle des États, et que la tendance n’est pas partie pour s’inverser – la valeur d’Apple a augmenté de 54% en un an … -, n’est pas inutile. De plus en plus d’entreprises s’enrichissent tandis que de plus en plus de pays s’appauvrissent. Et il n’est pas exclu que ce soit lié. Dans un monde où les politiques publiques se soumettent aux lois de l’économie privée, diriger un État est en train de devenir un boulot de loser. Demain, les élections qui compteront vraiment pourraient bien avoir lieu exclusivement dans les conseils d’administration.
im_res_431C’est une éventualité à laquelle Angela Merkel devrait réfléchir, plutôt que s’obstiner à considérer les nouveaux dirigeants grecs comme de vulgaires voleurs de poules. Pour le moment, elle estime que l’Allemagne, première puissance économique européenne est à l’abri de tout naufrage et demeurera éternellement un vaisseau amiral voguant sur les flots tranquilles de la loi du marché. Mais il n’est pas inenvisageable qu’un beau jour le pédégé de Siemens, de Volswagen ou de BASF, au lendemain d’un « rapprochement » ou d’une fusion- acquisition, le plaçant à la tête d’un géant supranational de son secteur d’activité, décide qu’il n’a plus intérêt à collaborer à la prospérité germanique, aille s’installer dans un quelconque paradis fiscal et dise à la chancellerie et au Bundestag d’aller se faire voir chez les Grecs, justement. 
La foi aveugle dans les vertus du libéralisme et de la dérégulation a fait que nombre d’États, y compris parmi les plus influents, ont renoncer à se doter d’instruments de contrôle et de pression sur les acteurs financiers de plus en plus puissants. Pire, à force de privatisations et d’abandons croissants de secteurs économiques stratégiques, ils se sont privés de toute capacité à répliquer sur le même terrain. C’est le paradoxe et l’absurdité d’un dogme politique qui dit que l’État doit être dirigé comme une entreprise, mais sans posséder aucun actif, ni outil de production…  
chien-laisseQuelles que soit les affinités ou, au contraire, les antipathies politiques, au fond, aucun chef d’État, aucun chef de gouvernement européen, n’a aujourd’hui intérêt à ce que des formations comme Syriza ou Podemos échouent. S’ils n’ont pas forcément les bonnes réponses, ils posent les bonnes questions : doit-on, lorsqu’on est à la tête d’un État démocratique et que l’on a été légitimement élu, accepter d’être dépossédé de ses capacités d’actions collectives par des entités qui œuvrent pour des intérêts particuliers ?          

A propos werdna01

Hors des paradigmes anciens et obsolètes, libérer la parole à propos de la domination et de l’avidité dans les domaines de la politique, de la religion, de l’économie, de l’éducation et de la guérison, étant donné que tout cela est devenu commercial. Notre idée est que ces domaines manquent de générosité et de collaboration.
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