Les tomates standardisées tape-à-l’œil mais insipides

Le Canard Enchaîné-  06/08/2015 – Conflit de Canard
degustation_St_Omer_2014C’est l’étude qui a remis sur la table un sujet qui énerve tout le monde : le goût des tomates. L’association nationale de défense des consommateurs CLCV a enrôlé 870 testeurs pour déguster des tomates vendues* en grandes surfaces dans 24 départements. Résultat : 38% des goûteurs ont jugé le légume « satisfaisant ». Les autres n’ont pas su dire si c’était bon ou mauvais, ou ont carrément fait la grimace.
Normalement, c’est en juillet et en août que la tomate gorgée de soleil donne le meilleur d’elle même à nos pailles. Mais cela fait belle lurette qu’elle est frappée d’une véritable malédiction. Les 300 variétés que l’on trouvait dans nos jardins ont disparu, remplacés par une dizaine de modèles tape-à-l’œil mais pleins de flotte et insipides. On peut dire merci à la grande distribution. Ce sont bel et bien Auchan, Carrefour, Leclerc et consorts qui ont imposé dans les étals des tomates standardisées. Pour répondre au cahier des charges, les ingénieurs agronomes se sont mis à bricoler leurs gènes afin d’en faire un produit hypercalibré, aux couleurs pétaradantes, à longue durée de conservation et avec une peau bien épaisse pour résister aux chocs du transport et de la manutention. Sauf qu’en cours de route, on a juste perdu le gène du goût…
Le coup de grâce a été asséné dans les années 80 lorsqu’on a eu la bonne idée de bidouiller la tomate pour allonger de trois semaines sa durée de vie après cueillette. Ce qui a eu pour effet de la dépouiller de ses arômes et de la rendre farineuse. Sans compter que, plus une tomate squatte les étals, plus la vitamine C qu’elle contient fiche le camp ! Dans un rapport paru en novembre 2007, dont « Le Canard » s’était fait l’écho à l’époque, l’institut national de la recherche agronomique reconnaissait ainsi le désastre : « La qualité nutritionnelle n’a été que rarement un critère de sélection directe, sauf pour contre-sélectionner des aspects défavorables » ou des « caractéristiques gustatives défavorables« .
Pour que, malgré la bérézina gustative, la tomate reste le premier légume consommé en France – 900 000 avalées chaque année -, les supermarchés ont ressorti les prétendues variétés d’antan. C’est ainsi qu’est réapparu la fameuse cœur-de-bœuf, la Rolls de la tomate. Las, comme l’a montré l’enquête de la CLCV, la plupart de ces cœur-de-bœuf, côtelées, charnues, brillantes, ne sont que des imitations fadasses et cotonneuses, vendues jusqu’à trois fois plus cher.
Comme la vraie est délicate à cultiver, avec un rendement de cinq à six fois moindre que les « contrefaites » qui poussent hors sol sur des substrats nutritifs, les semenciers ont croisé de vieilles souches avec des variétés industrielles. On avait déjà eu droit à la tomate grappe, produite sans toucher terre et tout aussi fade, mais avec une tige fortement odorante qui lui donne un petit air sauvage. 
Il est vrai que le marché de la tomate est un filon juteux de 1,3 milliard d’euros par an. Un manne largement siphonnée par la grande distrib, qui pèse à elle seule 70% des ventes de fruits et légumes. Comme l’expliquait sans rire un directeur marketing de Prince de Bretagne, leader français de la tomate et l’un des premiers à avoir misé sur de sosies rustique, « nous proposons de l’imaginaire qui fait que le prix de vente devient secondaire« . Le Prince est un poète !
imagesIJXK88Q1Tomates de plein champ
* Fraises et tomates : le prix ne fait pas le goût !

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