Canal du midi – Le platane : « massacre à la tronçonneuse »

2 200 C’est le nombre de platanes du canal du Midi qui vont être abattus à partir de ce lundi en raison du chancre coloré, un champignon mortel pour ces arbres, selon les Voies navigables de France (VNF). Depuis 2006, près de 13 850 platanes (sur 42 000) ont déjà subi le même sort. Le Monde

acanal-du-midi-2-200-platanes-abattus-a-partir-de-lundi_336925_516x332

Le platane : « massacre à la tronçonneuse » sur le canal du Midi

1043946_obj6477652-1_667x333

LE MONDE | 11.08.2015
 Arbres malades de la mondialisation

acanal mididscf1884

 Sur les 42 000 arbres des berges de l’ouvrage qui relie l’Atlantique à la Méditerranée, en moins de dix ans, 18 000 ont été infectés par le chancre coloré, et 10 000 ont dû être abattus.

acanal midi-les-platanes-bordent-le-long-du-canal-du-midi-ici-pra-s-de-ramonville

Sous la majestueuse voûte verte, où l’eau reflète la lumière en silence, les rires fusent. Didier, Jean-Marc, Irène et les autres, huit retraités du Nord – Pas-de-Calais, partagent bonhomie et ratatouille, attablés sur le pont de la Ventenac. Dans la chaleur qui écrase le canal du Midi, la péniche et son équipage profitent de l’ombre de l’un des platanes encore sur pied. Car, quelques mètres plus loin, des dizaines d’arbres manquent à l’appel.

acanal midi maladiesauver-les-platanes-du-canal-du-midi-grace-au-mecenat-article-main-large

D’autres, au feuillage jauni et au bois sec, ploient tristement vers les berges. Le célèbre ouvrage, qui relie l’Atlantique à la Méditerranée, classé au Patrimoine de l’humanité depuis 1996, est frappé par la maladie du chancre coloré, provoquée par un champignon microscopique capable de mettre à terre en deux ans des arbres centenaires. Ses 42 000 platanes pourraient périr.

acanal midichancre-bacterien-540x375

En moins de dix ans, 18 000 arbres ont été infectés, et 10 000 ont dû être abattus. Si tous, élus comme riverains, voudraient voir le roi du canal retrouver ses atours d’antan, les financements manquent pour accélérer les replantations ou la recherche d’un remède miracle. Et les tensions s’accumulent autour d’un enjeu devenu passionnel.
« Les gens d’ici ont un attachement sentimental au canal du Midi. C’est le point de rencontre des habitants et le centre de l’activité économique du village », explique Christian Lapalu, maire PS de Ventenac-en-Minervois, dans l’Aude. La jolie bourgade de 550 âmes a payé un lourd tribut au champignon dévastateur : 300 de ses 600 platanes ont été rasés. Et d’autres encore sont condamnés.

acanal midifin-2014-25-des-arbres-du-canal-auront-ete-abattus_786332_510x255

« J’ai vu des vieux pleurer la première fois qu’ils ont arraché nos arbres », raconte Jean-Pierre Janier, l’un des habitants du village, amoureux du canal du Midi et passionné par son concepteur, collecteur d’impôts de Louis XIV, Pierre-Paul Riquet. En 2008, ce professeur d’anglais retraité et son épouse, venus de Besançon, ont fait construire leur maison en surplomb de la voie d’eau, et l’ont équipée d’une piscine en forme d’écluse, ovoïdale. « Avant, nous avions une vue imprenable sur le double alignement de platanes », se désole-t-il, en montrant la rive droite clairsemée.
Les communes craignent également pour leur économie. Chaque année, 50 000 plaisanciers naviguent sur les 240 km du canal, dont 70 % d’étrangers. La voie d’eau représente à elle seule 28 % du tourisme fluvial français. Une manne pour les trois départements concernés (Haute-Garonne, Aude et Hérault). Mais, depuis 2013, le trafic a baissé de 6 % à 8 % par an, sans que l’on sache s’il s’agit de la crise économique ou de la transformation du paysage.
Implacable tueur
acanal midi chancre38119305Le premier coup de semonce se fait entendre au printemps 2006, à Villedubert, non loin de Carcassonne. Des agents des Voies navigables de France (VNF), l’établissement public qui gère et exploite le canal pour le compte de l’Etat, s’étonnent de l’absence de floraison de certains platanes. Après analyses, ils diagnostiquent le chancre coloré, provoqué par le microchampignon Ceratocystis platani. Ce parasite, qui a vraisemblablement débarqué à Marseille en 1945, niché dans le bois des caisses de munitions de l’armée américaine, a déjà tué 40 000 platanes dans le sud-est de la France, 100 000 en Italie et des centaines de milliers aux Etats-Unis, où il a été identifié en 1929. Le champignon est un implacable tueur : il envahit les vaisseaux et les rayons médullaires de l’arbre et sécrète des produits toxiques qui l’empoisonnent. L’écorce se nécrose, les feuilles jaunissent et tombent, les branches se dessèchent.
« On a favorisé la dissémination du champignon en Provence lors de travaux publics effectués sans précautions. Il suffit qu’une pelle mécanique s’accroche dans les racines d’un arbre malade, et elle contamine tous ceux qu’elle touche après », expose André Vigouroux, ancien chercheur à l’Institut national de la recherche agronomique (INRA), qui a travaillé près de quarante ans sur le parasite. L’homme, appelé à la rescousse par les VNF sur le canal du Midi, mesure rapidement la gravité du fléau. « La maladie s’est très rapidement propagée car le canal réunit plusieurs conditions favorables, explique-t-il. Les arbres, espacés de seulement sept mètres, ont leurs systèmes racinaires qui s’entremêlent. Les racines, immergées dans l’eau, sont également exposées aux blessures infligées par les bateaux qui s’amarrent aux rives. Or, la moindre égratignure permet la dissémination des spores dans l’eau. »acanal mididscf1645
acanal midi9_Le_bief_vidange_cle2d161d
Enfin, les vidanges de biefs – l’espace entre deux écluses –, effectuées chaque année, achèvent de répandre le parasite sur l’ensemble du site.
Programme de replantation
Le nombre de foyers connaît une croissance exponentielle. De 15 en 2008 entre Carcassonne et Béziers (Hérault), il grimpe à 60 entre Castelnaudary (Aude) et Agde (Hérault) en 2010, et à près de 600 ces dernières années. Au printemps 2014, le chancre est détecté pour la première fois dans trois communes de Haute-Garonne, département jusque-là épargné, dont Castanet-Tolosan, la dernière écluse avant Toulouse. « Il y a un risque que le champignon touche Toulouse et remonte le canal latéral à la Garonne jusqu’à Bordeaux, s’inquiète Francis Maire, expert mandaté par VNF pour effectuer des campagnes de prospection annuelles et tenir le registre des 42 000 troncs immatriculés. Il va falloir être très vigilant et prendre des mesures strictes pour éviter la propagation qu’a connue l’Aude. »

acanal midi icture-taken-on-march-1-2012-shows-technicians-cutting-plane-trees-in-villeneuve-les

Le processus est maintenant rodé : les arbres malades sont coupés sur un sol protégé et isolé, avant d’être brûlés sur place. Au total, 4 000 platanes sont abattus chaque année. Au début de l’épidémie, les VNF arrachaient préventivement tous les arbres situés 50 mètres en amont comme en aval des foyers contaminés. Un « massacre à la tronçonneuse », dénoncé à l’époque par Christian Lapalu. En 2013, l’édile a envoyé plus d’un millier de courriers pour rallier d’autres maires contre la pratique. « Il ne s’agissait pas de laisser tomber les arbres morts sur les habitants, souligne-t-il, mais d’éviter de sacrifier ceux qui étaient encore sains. » « On a manqué de concertation, reconnaît Jacques Noisette, le directeur de la communication des VNF.Aujourd’hui, nos agents recensent avec les élus les arbres à abattre, et ceux à épargner. »

acanal midi1134248173

D’ici la fin de l’année, près de 7.000 platanes malades auront été abattus et 1.000 arbres replantés le long du Canal du Midi dans le cadre du projet de restauration de la voûte arborée de ce chef d’oeuvre mondial, selon un point présenté lundi par son gestionnaire public. (c) Afp
En parallèle, VNF a mis en place un programme de replantation d’une vaste voûte arborée, l’un des critères du maintien du classement du canal à l’Unesco. Deux mille arbres ont pour l’instant été plantés. « L’idée est de varier les essences, pour éviter une nouvelle pandémie, tout en conservant une homogénéité », explique Jacques Noisette.

acanal midi2015-01-31-la-meme-vue-apres

Désormais, des jeunes chênes aux feuilles de châtaigniers et tilleuls argentés disputent les berges du canal aux platanes. Mais, parmi les sept essences actuellement testées, c’est surtout le Platanor qui a longtemps suscité l’espoir. Cet hybride résistant à la maladie, développé par André Vigouroux par croisement avec des platanes américains qui avaient vaincu le chancre, a été la première essence à être replantée à grand renfort de publicité dans le port de Trèbes en 2011. Un an plus tard, un tiers des 160 nouveaux arbres étaient morts. La faute non pas au chancre mais à des défauts d’entretien des jeunes plants. Reste que le mal était fait et que la rumeur s’est propagée aussi vite que le champignon. « J’ai été victime de propos malveillants, alors qu’aucun Platanor n’a été malade », assure André Vigouroux. Dans le doute, VNF a stoppé les replantations de l’hybride.

acanal midi2015-02-15-marc-papinutti-en-medaillon-directeur-des-voies

L’épidémie coûte cher
Depuis, l’agronome est à la retraite et la recherche publique au point mort. Deux projets largement médiatisés ont pourtant suscité de nouveaux espoirs. Un laboratoire privé de la région toulousaine, le Cetev, tente de réaliser des micro-injections de fongicides dans les platanes. « Nous avons eu l’autorisation du ministère de l’agriculture de mettre en place un dispositif expérimental à l’automne qui durera trois ans », assure le gérant, Philippe Beuste. André Vigouroux, lui, « n’y croit pas », arguant que « les quelques essais préalables ont été réalisés sur des arbres très petits, de 20 cm, et sur un échantillon non homogène ».

acanal  miidi2014-02-Canal-du-Midi

Toute la rive gauche a été défigurée par les abattages de VNF(Photo par G.C.)
Qu’importe, la presse s’est trouvé un autre « remède miracle ». Conçu par des étudiants de l’Institut national des sciences appliquées et de l’université Paul-Sabatier de Toulouse, le procédé a été primé, en 2014, par le très prestigieux Massachusetts Institute of Technology, à Boston. L’idée : modifier le génome d’une bactérie vivant naturellement dans le platane pour qu’elle se fixe sur le champignon pathogène et lui inocule des fongicides. « Nous avons une preuve de concept, mais nous sommes très loin d’avoir développé un traitement, prévient Gilles Truan, directeur de recherches au Centre national de la recherche scientifique, qui a encadré les 11 élèves. Nous l’avons testé sur des plantes de tabac et non des platanes. D’ailleurs, il est aujourd’hui interdit d’injecter un OGM à un arbre. » Le projet a malgré tout retenu l’attention des VNF et du ministère de l’agriculture, qui ont accepté de financer une thèse pour poursuivre les recherches. « Mais on ne trouve pas de laboratoire qui accepte d’accueillir notre thésard. En réalité, la recherche sur le platane, un arbre d’ornement qui n’est pas considéré comme noble, n’intéresse pas en France », regrette le scientifique.

acanal mididscf1918

En attendant, l’épidémie coûte cher. Le chantier d’abattage et de replantation a été estimé à 220 millions d’euros sur vingt ans, répartis à parts égales entre l’Etat, les collectivités territoriales et le mécénat, selon le rapport du sénateur UMP Alain Chatillon, remis au gouvernement en 2012. « Pour l’instant, c’est VNF qui préfinance les opérations sur ses fonds propres. L’Etat n’a affecté aucun budget à la restauration du canal », indique Jacques Noisette. Seuls la région Languedoc-Roussillon (711 000 euros) et le conseil général de l’Aude (840 000 euros) ont mis la main à la poche. Quant au mécénat, on est loin de l’objectif : depuis le lancement de la campagne de dons à l’été 2013, 35 entreprises et 4 000 particuliers se sont mobilisés, à hauteur de 535 000 euros. « Nous devons avoir une stratégie à long terme de restauration du canal qui vienne du gouvernement, affirme le sénateur. Sans quoi, nous ne pourrons pas devancer la maladie. »
Par Audrey Garric (Canal du Midi, envoyée spéciale)

acanal midi carte2015-01-31-canal-du-midi-4-000-arbres-de-plus-seront-sacrifies-en-2015

acanal midiimg_diapo5

A propos kozett

Deux phénomènes peuvent amener à une manipulation dans la prise en compte des informations par notre conscience : --> Le mirage qui voile et cache la vérité derrière les brumes de la sensiblerie et de la réaction émotionnelle. --> L’illusion qui est une interprétation limitée de la vérité cachée par le brouillard des pensées imposées. Celles-ci apparaissent alors comme plus réelles que la vérité qu’elles voilent, et conditionnent la manière dont est abordé la réalité … A notre époque médiatisée à outrance, notre vigilance est particulièrement requise !
Cet article, publié dans Culture, Economie, Nature, Science, est tagué , , , , . Ajoutez ce permalien à vos favoris.