La gueule de bois du réveil chinois

Charlie Hebdo – 02/08/2015 – Patrick Chesnet –

La « China Dream » du président Xi Jinping a du plomb dans l’aile. Entre carnage de Tianjin et explosion de la Bourse, la confiance des chinois envers leurs dirigeants est à la dérive. D’autant que la répression envers toute voix ou information critique reste omniprésente.

Aucun doute. La grande parade militaire qui, le 3 septembre, a commémoré le 70ème anniversaire de la fin de la guerre mondiale antifasciste – nom donné par Pékin à la Seconde Guerre mondiale – est à l’évidence grandiose. Avec sa « chorégraphie » bien huilée, ses 12 000 hommes de troupe défilant au pas de l’oie, aux côtés des dernières « innovations » technologiques chinoise en matière d’armement, le spectacle annoncé n’a pas manqué d’impressionner les quelques trente chefs d’État et la vingtaine de représentants d’autres pays présents ce jour là à Pékin.

Elle rappellera aussi, surtout, la toute-puissance du Parti communiste à la population chinoise. Une piqûre de rappel arrivant à point nommé pour Xi Jinping et son gouvernement qui, depuis quelque temps voient leur crédibilité auprès de leurs concitoyens s’effriter et l’animosité à leur encontre grandir.

Les dernières semaines ont été en effet particulièrement difficiles. Il y a d’abord eu, entre le 12 et le 15 août, les multiples explosions qui ont ravagé la cité portuaire de Tianjin, au sud-est de Pékin. Et la réaction, le manque de réaction, plutôt, des autorités. Deux semaines après cet « incident industriel », et alors que le nombre des morts s’élève, le 27 août,à 145 et celui des blessés à 474, de nombreuses questions restent toujours sans réponse. Notamment sur la collusion entre les pouvoirs locaux et barons de l’économie chinoise – même si une vingtaine de cadres ont été arrêtés -, la pollution de l’environnement et le relogement des riverains dont les habitations ont été détruites.

La chine n’en finit pas de s’éveiller

le 24 août, c’était au tour de la Bourse chinoise d’exploser. Au figuré, certes, mais avec des effets tout aussi dévastateurs sur la confiance des Chinois dans leur économie et ceux qui la dirigent. Des milliers de petites porteurs se retrouvant ruinés du jour au lendemain. Une débâcle qui a poussé la Banque populaire de Chine à dévaluer le yuan, et certains analystes financiers à se demander si, à l’instar de ce qui se passait dans les années 1960-1970, lorsque les entreprises présentaient des chiffres de production gonflés pour satisfaire aux désidérata de l’économie planifiée de Mao, il n’en serait pas de même aujourd’hui avec ceux de la croissance. Les plus pessimistes évoquent aujourd’hui une croissance qui ne dépasserait pas les 2,2%, largement en-deçà des 7% révélés par le Bureau national des statistiques chinois mi-juillet et prévus cette année…

La chasse aux « éléments corrompus » au sein de l’administration, du Parti et de l’armée initiée par Xi Jinping et l’appel à la participation de la population, « dans le respect de la loi« , ont , d’autre part, montré leurs limites. Si plusieurs milliers de fonctionnaires et de responsables ou de haut gradés davantage désireux de se remplir les poches ou d’abuser de leurs pouvoirs que de servir l’État se sont effectivement retrouvés en prison, voire parfois condamnés à la peine capitale pour leurs crimes, ils y ont vite été rejoints par ceux-là même qui sont censés défendre les citoyens par de telles pratiques. En témoigne l’arrestation de plus de deux cents avocats depuis juillet. Dénoncer les malversations de brebis galeuses, oui mais pas question de remettre en cause les fondements ou le fonctionnement du Parti.

Pas question non plus de laisser le bon peuple accéder ou échanger librement les informations. Les restrictions imposées aux serveurs Internet privés, les pressions exercées par les autorités sur les développeurs d’applications « anti-censure », voire la disparition de certains d’entre eux au cours de ces derniers jours, prouvent une nouvelle fois que la Toile chinoise reste plus que jamais sous le contrôle de Pékin.

On est bien loin du « China Dream » supposé donner  » un coup de jeune à la nation chinoise » prôné par Xi JInping depuis 2013. Au point que certains ne savent pas très bien si ce 3 septembre célèbre « la victoire sur les fascistes ou la victoire des fascistes« . Dénonçant l’idéologie qui sous-tend ces festivités, Ils n’hésitent pas à comparer cette démonstration militariste aux « films de propagande nazie de Leni Riefenstahl« . Rien de moins. Bref, il n’est pas impossible, que, cette fois, la Chine – ou au moins les chinois – s’éveille pour de bon.