Le Monde.fr | 11.09.2015 |
Les signaux s’allument un peu partout. A la Biennale d’art de Venise, l’exil et la perte du pays sont au cœur de l’exposition Dispossession (jusqu’au 22 novembre), avec des créations de neuf artistes ou collectifs venus de Syrie, de Russie, d’Allemagne ou d’Ukraine.
En Angleterre, le street-artiste Banksy, originaire de Bristol, a ouvert, fin août, un parc d’attractions grinçant, Dismaland, à une trentaine de kilomètres de sa ville natale, en bord de mer, à Weston-super-Mare. On n’y voit pas que le carrosse de Cendrillon accidenté. Dans la forteresse décrépite, le visiteur est accueilli par les forces de l’ordre, et il découvrira une barque remplie de passagers…
Le réalisateur italo-américain Jonas Carpignano, 31 ans, a eu l’idée de reconstituer l’odyssée de deux jeunes Africains en direction de l’Italie du Sud, où les attendent des patrons exploiteurs, le racisme, mais aussi heureusement quelques signes d’hospitalité. Révélé à Cannes, en mai 2015, Mediterranea, ce premier long-métrage inspiré d’histoires vécues est sorti en salles, en France, depuis le 2 septembre. Ce sont aussi les images « profondément choquantes des migrants de Lampedusa », nous dit Etienne Daho, qui ont donné naissance à Un nouveau printemps, l’un des titres de son dernier album, Les Chansons de l’innocence retrouvée (EMI). « Ces jeunes gens, ces familles…, la détresse qui les contraint à quitter leur pays d’origine, quitte à trouver à leur arrivée, s’ils ne se noient pas, un rêve de liberté et de dignité en miettes », écrit le chanteur dans un court message.
La colère s’exprime, aussi, à coup de déclarations tonitruantes : le chanteur irlandais Bob Geldof, interrogé sur la radio irlandaise RTE, s’est dit prêt à accueillir « trois familles immédiatement » dans son logement dans le Kent, et une autre dans son « appartement à Londres ». Evoquant les photos du petit Aylan Kurdi, retrouvé mort sur une plage turque, il a déclaré : « Je les ai regardées avec un sentiment profond de honte et de trahison, par rapport à ce que nous sommes et à ce que nous souhaiterions être […]. C’est l’échec de ces politiques qui a conduit à ce déshonneur », a-t-il ajouté, dénonçant l’action des gouvernements européens. La star allemande Til Schweiger, comédien et réalisateur, a annoncé qu’il créait une fondation pour ouvrir en Basse-Saxe un foyer de premier accueil…
On n’en est pas là, en France, où d’après les sondages l’opinion est encore frileuse à l’égard de l’accueil des réfugiés. Une journée de sensibilisation est prévue, samedi 12 septembre, au Musée de l’histoire de l’immigration, à Paris. Intitulée « Douze heures pour changer de regard », elle réunira, entre autres, les historiens Benjamin Stora, Pap Ndiaye, Pascal Blanchard, la plasticienne Fanny Bouyagui, etc., et s’achèvera avec la lecture, par Céline Samie, de la Comédie-Française, de la pièce Triptyque du naufrage, Lampedusa, de Lina Prosa.
Par ailleurs, pas moins de trois pétitions circulent. Publié dans le Journal du dimanche, le 6 septembre, un appel a été initié par l’humoriste Alex Lutz, regroupant soixante-six personnalités – Guillaume Canet, Mélanie Laurent, Isabelle Adjani, Elsa Zylberstein… Ces artistes s’engagent à donner un cachet, ou plus, soit le salaire versé pour une représentation, à des associations soutenant les réfugiés (Cimade, France Terre d’asile…). « Il ne s’agit pas de dire “We are the World” », prévient Alex Lutz, qui transmet un sobre communiqué annonçant la création de l’association « Une main tendue, un cachet solidaire » : « Les signataires revendiquent le droit d’asile dans les pays en paix pour les victimes de la guerre et de la barbarie humaine », lit-on.
Par ailleurs, des cinéastes et comédiens français, tels Arnaud Desplechin, Emmanuelle Béart, se sont ralliés à la pétition des « Filmmakers » lancée à l’échelle européenne, intitulée « For a Thousand Lives : Be Human », réunissant Jean-Pierre et Luc Dardenne, Isabella Rossellini, Cristian Mungiu, Aki Kaurismäki…
En France, les citoyens ont un « terrain » de choix, si l’on peut dire, pour apprécier l’accueil réservé aux réfugiés : depuis des mois, des centaines d’hommes et de femmes venus d’une douzaine de pays sont regroupés dans le nord de la capitale. C’est là que la mobilisation a commencé. Au début de l’été, une « lettre ouverte » à la maire de Paris, la socialiste Anne Hidalgo, a été publiée dans Télérama, le 9 juillet, dénonçant le sort des centaines de réfugiés qui « survivent » et « dorment encore sur les trottoirs de notre capitale ». Autant dire que le texte a fait sursauter la gauche : il est signé par 222 artistes, parmi lesquels les comédiens Juliette Binoche, Omar Sy, les réalisateurs Michel Hazanavicius, Claire Simon, Laurent Cantet, Bruno Podalydès, Rithy Pahn, mais aussi l’écrivaine Virginie Despentes, les metteurs en scène Stanislas Nordey, Ariane Mnouchkine, la chanteuse Elli Medeiros, le groupe I AM, etc.
Des « grands noms » pour les médias