Les enquêteurs de l’anti-corruption mis au régime amaigrissant

Charlie Hebdo – 09/09/2015 – Laurent Léger –
Les juges s’alarment de la baisse des effectifs d’enquêteurs œuvrant sur les affaires sensibles, tels que les dossiers de corruption, de trafic d’influence ou autres joyeusetés qui font la réputation de quelques hommes politiques de premier plan…
C’est l’une des conséquences des attentats et du plan Vigipirate, mais personne n’en avait vraiment pris conscience jusqu’à présent. a force de mettre tous les flics sur la lutte contre le terrorisme, probablement pas à tort, les services dédiés aux enquêtes les plus sensibles n’arrivent plus à faire face et croulent sous les dossiers inachevés.
Corruption-et-fraude-fiscale-en-ligne-de-mire_largeur_445Un seul exemple ? Jetons un œil sur ce nouveau service de lutte contre la corruption, une structure au nom imprononçable (OCLCIFF, pour Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales) installée à la Direction centrale de la police judiciaire en octobre 2013. Créé dans la foulée de l’affaire Cahuzac, le service est interministériel : il est autant composé de policiers que d’agents détachés de Bercy, des « officiers fiscaux judiciaires » (OFJ). Une circulaire de Christiane Taubira du 31 janvier 2014 spécifie que l’Office est « dédié » à œuvrer « particulièrement » avec le parquet national financier, lui aussi tout neuf : doté d’une quinzaine de substituts du procureur, il a été créé par une loi de décembre 2013 et engrange environ 350 nouvelles affaires par an, enquêtes préliminaires ou dossiers confiés à des juges d’instruction.

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L’OC- trucmuche enquête autant sur les Balkany, Bygmalion et la campagne présidentielle de 2012 (ce dernier a d’ailleurs été entendu dernièrement), les lians de l’ancien président avec la Libye de Khadafi, les affaires Guéant, Dassault ou Michel Tomi, du nom d’un « parrain » Corse, ami des présidents africains, sans oublier le magnifique dossier des écoutes de Sarkozy et de son avocat, laissant présumer que l’ex-chef de l’État aurait pu donner un coup de pouce à un magistrat de la Cour de cassation en échange d’informations confidentielles sur le dossier Bettencourt. Il y avait eu Pérol ou Karachi, des dossiers liés aux ventes d’armes, et tant d’autres encore, dont les implications sur les pouvoirs politiques ou économiques peuvent s’avérer majeures. De très belles affaires dont la résolution reste indispensable dans une démocratie digne de ce nom.
Mais à côté de ces cas particuliers, combien de petites dossiers parviennent aux enquêteurs depuis les juridictions de toute la France, petits délits ou mini-fraudes fiscales, encombrant les bureaux des enquêteurs, mais qu’il faut aussi traiter ? Et, pour couronner le tout, les effectifs fondent, fondent comme neige au soleil. Alors qu’à la création de cette structure le ministère claironnait que les personnels consacrés à la lutte contre la corruption et à la criminalité financière organisée avaient été « doublés », comme le signale encore aujourd’hui le site de la place Beauveau, l’Office a perdu au moins un bonne douzaine d’agents : actuellement, il comporte entre 80 et90 enquêteurs. Soit, quand même, un bon dixième de moins que l’effectif prévu. L’une des brigades du service n’a plus de chef depuis des mois, et le poste ne sera finalement pourvu qu’en décembre. A côté de ce régime amaigrissant que subit l’OCLCIFF, le Service national de douane judiciaire (SNDJ), qui dépend  de Bercy et ne traite « que » des pelletées d’escroqueries à la TVA et des dossiers fraude fiscale type HSBC et UBS, compte quelque 200 agents. Soit deux fois plus. C’est définitivement à Bercy que le portefeuille est rempli !
Affaires pépères
Les magistrats ont constaté des difficultés des services enquêteurs saisis. D’ailleurs, même au Château des Rentiers, le siège de la brigade financière de la préfecture de police de Paris, qui œuvre pour plusieurs parquets de l’Ile-de-France, les policiers tirent la langue. Un dossier complexe et sensible comme celui concernant le rachat par Areva de mines d’uranium dans des conditions controversées n’a été confié qu’à deux ou trois policiers en rythme de croisière, une fois les perquisitions passées. Et la portion congrue a été affectée au traitement du monumental dossier de l’arbitrage Tapie. Selon les infos de Charlie, le parquet national financier s’est ému cet été de cette situation, mais, pour le moment, rien ne se passe. Le message s’est peut-être perdu dans les limbes de l’actualité, tant les priorités gouvernementales changent chaque jour, des réfugiés syriens à la mobilisation agricole. Les flics passent, Nicolas Sarkozy et Bernard Tapie, eux,  continuent à donner du fil à retordre à la justice de ce pays…

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