Les vrais paysans se rebiffent

Charlie Hebdo – 14 octobre 2015 – Fabrice Nicolino –
Aujourd’hui, vendredi 16 octobre, les petits paysans gueulent tous ensemble dans le monde entier. Le réseau international la Via Campesina célèbre la Journée mondiale de la souveraineté alimentaire. Contre tous les Monsanto, pour le droit des peuples à se nourrir à leur faim, et sans souiller la Terre et ses habitants.

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Quand vous aurez entendu pour la énième fois parler de la chemise du DRH d’Air France, de la dernière bonne blague de Cyril Hanouna, du rhume des foins de Dalida, de Hollande ou du pape de Rome, tendez bien l’oreille. Il n’est pas exclu que Radio Berry consacre une brève à la Journée mondiale de la souveraineté alimentaire du vendredi 16 octobre. Ce jour là, des petits paysans du monde entier rappelleront aux puissants qu’il existe un droit supérieur à celui du commerce mondial. Celui de mener des politiques agricoles adaptées aux conditions du pays et des peuples, sans empoisonner ses habitants, sans rendre fous les paysans eux-mêmes. 
Pour comprendre cette grande idée, il faut se propulser vingt ans en arrière. Entre le 13 et 17 novembre 1996, la FAO organisait à Rome un pompeux Sommet mondial de l’alimentation. La FAO, ce sont les charlatans de l’ONU en charge de l’agriculture et de l’alimentation. Depuis sa fondation en 1945, la FAO ne cesse de clamer qu’elle existe pour éradiquer la faim, sans jamais y parvenir. Comme c’est bizarre. Tous ses chefs ont défendu et défendent encore l’industrie agricole, qui a conduit à l’immense désastre en cours, sur fond de pesticides, de grosses machines, de surexploitation de nappes phréatiques et des cours d’eau. 
famine_titre_dessinBon. 1996 : la FAO se donne vingt ans – nous y sommes – pour réduire de moitié le nombre d’affamés dans le monde. La Via Campésina, qui n’y croit pas et a bien raison (1), lance alors cette revendication de la souveraineté alimentaire pour tous les peuples de la Terre. La Via Campésina, née en 1993, est une structure si magnifique que nul ou presque n’en a entendu parler. Elle rassemble des associations paysannes du monde entier, dont en France le petit Mouvement de défense des exploitants familiaux (Modef) et la Confédération paysanne. Au total, 164 organisations, regroupant 79 pays et plus de 200 millions de paysans y sont représentés. Qui peut dire mieux et plus ? Personne. Or la Via Campesina conspue et conchie même poliment l’Organisation mondiale du commerce (OMC), qui garantit leurs plantureux profits aux transnationales de l’agro-industrie.
Par ici les semences
Dans le domaine des semences commerciales, décisif entre tous pour l’alimentation humaine, trois mastodontes, Monsanto, DuPont de Nemours et Syngenta, contrôlent 55 % du marché mondial, et les dix premiers semenciers – dont ils font partie -, 75 %. On imagine fort mal l’immensité de leur pouvoir. Bien sûr, ce n’est déjà pas mal, mais pourquoi pas 100 % ? 
IMAG0961L’un des problèmes de ces philanthropes s’appelle le brevet. Quand un semencier obtient un brevet sur l’une de ses « découvertes », il dispose sur le papier d’une protection de vingt ans. Mais dans les faits, il n’a que dix ans pour se remplir les poches, car la période commence dès le dépôt du brevet, précédant souvent de dix ans la commercialisation. Il leur faut donc constamment trouver de nouvelles astuces, que la Via Campesina, en mauvaise fille altermondialiste dénonce comme du vol pur et simple de savoirs accumulés par des générations de paysans – via la bio-piraterie par exemple. Du reste, la Via Campesina vient de prendre une lourde décision : elle invite les paysans du monde entier à ne plus laisser pénétrer dans leurs champs chercheurs et prospecteurs  à la recherche de semences « intéressantes. La Via Campesina considère que le travail de ces derniers, en théorie au service du traité international des plantes, est en fait détourné au profit des transnationales.
Est-ce tout à fait par hasard ? Le Congrès brésilien, de gauche à ce qu’on lit parfois, examine en ce moment une proposition de loi qui pourrait signer la fin du moratoire mondial sur la technologie Terminator (2) de Monsanto. En deux mots, Terminator permet par manipulation génétique de rendre stériles les graines de seconde génération. De la sorte, les paysans, qui ont de tout temps utilisé une partie de leur récolte pour les semences de l’année suivante, n’auront plus d’autre choix que de racheter des semences Monsanto chaque année. Génial.
Le 16 octobre, demain, pensez un peu aux gueux…
(1) En jun 2009, les braves gens de la FAO notaient sans trembler :  » Pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, plus d’un milliard de personnes (1 020 milliard) dans le monde souffrent de sous-alimentation. »
(2) Fin février 2014, ETC Group, une ONG internationale, sonnait l’alarme : un certain nombre de parlementaires brésiliens tentent à nouveau de légaliser les semences génétiquement modifiées pour être biologiquement stériles, les fameuses semences « Terminator ». Depuis 2007, un projet de loi visant à autoriser les semences Terminator (sous condition) se promène dans les couloirs du Congrès brésilien… Il va de commission en commission sans jamais aboutir à un vote en séance plénière. La mobilisation citoyenne, nationale mais aussi internationale, suit ces mouvements avec inquiétude sans désarmer et cela depuis de nombreuses années.
Foto%2016%20Oct%20FRscVia CAmpesina : (Harare, 12 Octobre 2015) Alors que le monde marquera la Journée mondiale de l’alimentation, nous demandons de véritables solutions au changement climatique, pour la souveraineté alimentaire et la fin du contrôle des entreprises multinationales sur notre alimentation et nos vies.
Voici la bande annonce de la vidéo qui sera lancée ce 16 octobre : « Ensemble nous pouvons refroidir la planète! »

A propos werdna01

Hors des paradigmes anciens et obsolètes, libérer la parole à propos de la domination et de l’avidité dans les domaines de la politique, de la religion, de l’économie, de l’éducation et de la guérison, étant donné que tout cela est devenu commercial. Notre idée est que ces domaines manquent de générosité et de collaboration.
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