William Christie bénit la  » Theodora  » d’Haendel

Le Monde 15 octobre

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William Christie
Le Théâtre des Champs-Elysées offre une première scénique française à l’avant-dernier oratorio du musicien

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L’avant-dernier oratorio de Haendel, Theodora, méritait bien que -le Théâtre des Champs-Elysées lui offre sa première scénique française.
Le chef-d’œuvre haendélien, écrit au crépuscule d’une vie laborieuse, témoigne en effet d’un stupéfiant renouveau stylistique, entre confidence, lyrisme et introspection. S’il est dépourvu des ressorts dramaturgiques de l’opéra et fit un four lors de sa création, à Londres, en mars  1750, il recèle de nombreux joyaux, tel le duo final de l’acte III.

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Philippe Jaroussky
Theodora est en effet une sorte d’anti-Messie : la grandeur divine ne se manifeste plus par des démonstrations de force, mais s’incarne au contraire dans la fragilité des hommes et la constance de leur foi.
awilliamchristie_2204275bWilliam Christie est un  » theodorateur  » de longue date. C’est lui qui éclairait en fosse l’Orchestre de l’âge des Lumières dans la mythique version de Peter Sellars au Festival de Glyndebourne, en  1996 (parue dans la foulée en DVD chez NVC Arts, puis en disque). Il en assura la reprise en  2009, après avoir gravé pour Erato en  2003 sa propre définition de l’œuvre avec sa troupe des Arts florissants (une réédition vient de paraître).

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Phrasé à la fois ferme et subtil
Unique oratorio de langue anglaise à sujet historique et non biblique, Theodora relate le destin tragique de la princesse d’Antioche, qui a rejoint une poignée de chrétiens rassemblés sous la houlette de la fervente Irène. Tous résistent au nouvel édit de l’empereur romain, Dioclétien, obligeant les sujets de Rome à sacrifier au culte de Jupiter. Arrêtée par le gouverneur d’Antioche, Valens, Theodora est sommée d’abjurer sa foi sous peine de subir les exactions de la soldatesque. Mais Didymus, jeune centurion épris de Theodora et converti au christianisme, prend sa place en prison avec la complicité de son ami Septimius. Confondus, les deux martyrs succomberont côte à côte dans un commun consentement mystique et amoureux.

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C’est avec ses Arts flo et un casting vocal tout neuf que Bill Christie a repris le chemin de Theodora. Chacun des chanteurs ou presque y effectue une prise de rôle. Tous sont portés par la quintessence du geste haendélien développé par le chef d’orchestre – un phrasé à la fois ferme et subtil, au ton épuré mais chaleureux, suivant avec empathie chaque inflexion de colère, de douleur ou d’extase. La trame sonore est riche et dense, les attaques précises. Les chœurs excellent dans tous les registres, de la liesse païenne à l’épanchement doloriste. William Christie semble avoir privilégié une approche par fresques. D’aucuns regretteront que cela serve moins le nerf du récit (mais quel récit ?). Ils en seront quittes pour une plus grande profondeur mystique.

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Katherine Watson campe une Theodora émouvante et sans hiératisme, à la ligne noble, notamment dans les airs lents, tel  » When sunk in anguish and despair « . Philippe Jaroussky n’avait plus chanté sous la direction de Bill Christie depuis le fameux Il Sant’Alessio de Landi de 2007. S’il semble un rien sur la réserve au premier air, il se reprend vite et offre à l’attachant pendant masculin de Theodora les touchantes vertus qui prédisposent au sacrifice. Son  » Kind Heaven, if virtue be thy care  » est un modèle de luminosité ardente et de don de soi. A ses côtés, le Septimius de Kresimir Spicer ne démérite pas, malgré quelques anicroches vocales rattrapées par la suavité de pianissimos magiques ( » From virtue springs each gen’rous deed « ).
Crachant, éructant, sifflant, le rageur Valens est un rôle de plein emploi pour l’inique Romain de Callum Thorpe. Il faut du courage aux chrétiens pour résister aux supplices évoqués dans son  » Racks, gibbets, sword and fire « . Hors cadre, l’Irène visionnaire de Stéphanie d’Oustrac ferait presque oublier le plateau tant la mezzo française, véritable pasionaria de la foi, semble se mouvoir dans d’autres sphères ( » Bane of virtue, nurse of passions « ).

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Avec ses panneaux coulissants et sa direction d’acteurs sans fioritures, la mise en scène de Stephen Langridge évolue dans un monde référencé où païens (soldats en uniformes sable, chœur de fêtards chics et tocs) et chrétiens (vêtus  » de probité candide et de lin blanc « ) se côtoient sans se rencontrer. Nul doute que, après l’iconoclaste et incendiaire vision de Peter Sellars, celle-ci ne fasse pâle figure avec son inventaire d’images pieuses et élégantes, un monde lénifiant d’édification morale, où la musique seule, libre et sensuelle, assume le cours sans fin des passions humaines.
Marie-Aude Roux journaliste au Monde
Theodora, de Haendel. Avec Katherine Watson, Stéphanie d’Oustrac, Philippe Jaroussky, Kresimir Spicer, Callum Thorpe, Sean Clayton, Stephen Langridge (mise en scène), Philippe Giraudeau (chorégraphie), Alison Chitty (scénographie et costumes), Fabrice Kebour (lumières), Les Arts florissants, William Christie (direction). Théâtre des Champs-Elysées, Paris-8e.Tél. : 01-49-52-50-50. Du 10 au 20 octobre. De 5 € à 140 €. Theatrechampselysees.fr Diffusé en direct sur Arte le 16 octobre à 19 h 30. Sur France Musique le 24 octobre à 19 heures.

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A propos kozett

Deux phénomènes peuvent amener à une manipulation dans la prise en compte des informations par notre conscience : --> Le mirage qui voile et cache la vérité derrière les brumes de la sensiblerie et de la réaction émotionnelle. --> L’illusion qui est une interprétation limitée de la vérité cachée par le brouillard des pensées imposées. Celles-ci apparaissent alors comme plus réelles que la vérité qu’elles voilent, et conditionnent la manière dont est abordé la réalité … A notre époque médiatisée à outrance, notre vigilance est particulièrement requise !
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