Lettre ouverte d’un jeune provençal à Marion Maréchal Le Pen

Newramb – 04/12/2015 –
Ma chère Marion, j’ai longuement hésité avant de t’écrire cette lettre. Je prends la liberté de te tutoyer et j’espère que tu m’en excuseras. Si je me permets de prendre cette liberté c’est avant tout parce que notre différence d’âge est minime. Tu as 25 ans, moi 22, nous appartenons tous les deux à la même génération, celle née au tournant des années 1990 après la dislocation de l’URSS et l’avènement de la mondialisation. Et pourtant, hormis notre appartenance à la même génération tout, ou presque, nous oppose. Te voilà donc tête de liste aux élections régionales en PACA quand moi je suis un simple étudiant, originaire et amoureux de cette même région. J’ai donc pris ma plume, j’ai écrit et puis je me suis dit « à quoi bon ? ». Tu ne prendras jamais la peine de la lire. Surement ne sauras-tu même pas que cette lettre a existé. J’ai alors jeté mon brouillon. Puis j’ai réfléchi à nouveau et je me suis dit que je me devais de t’écrire cette lettre pas pour toi ou pour moi mais pour la PACA, cette région que je chéris tant, et pour la France, ce pays que j’aime profondément (même si j’imagine que tu auras du mal à croire ces mots).
Tu te demanderas, toi et beaucoup de lecteurs j’imagine, quelle légitimité ai-je moi du haut de mes 22 ans et de mon simple statut d’étudiant pour me permettre de venir te porter la contestation à toi, qui est à ce jour la plus jeune élue de l’histoire de l’Assemblée Nationale de notre pays. Eh bien c’est, il me semble, le principe de la démocratie de permettre à n’importe quel citoyen de s’exprimer et de porter la contradiction aux élus. Toutefois, une raison plus profonde me pousse à t’adresser cette missive. Depuis quelques semaines, tu n’as cessé de manier l’outrance et la provocation au cours de tes discours de campagne. Finalement, tu as bel et bien intégré les codes de notre génération puisque ce faisant tu cherches à faire le buzz, ce fameux mot dérivé de bzzzz et qui, en somme, renvoie à quelque chose de bruyant mais qui n’a pas de sens réel. Ta dernière saillie sur les musulmans à qui tu accordes quand même le droit d’être musulman, et je t’en remercie, à « condition de se plier aux mœurs et au mode de vie que l’influence grecque, romaine et seize siècles de chrétienté ont façonné » m’a arraché un sourire et poussé à t’écrire la présente lettre.
charb-24-04-2013-10686386wmlyx_1713Parce que finalement, je pense que je représente à la fois ce que tu abhorres et ce que tu crains par-dessus-tout à savoir un Français de confession musulmane qui est bien loin des extrémistes que tu dépeins à longueur de discours. Alors oui, il m’arrive de porter la djellaba, ce vêtement que tu as en horreur, pour aller prier, cet acte qui te répugne au plus haut point. Et pourtant j’aime mon pays, la France, peut-être même plus que toi au vu des multiples approximations historiques et intellectuelles que tu peux commettre (mais j’y reviendrai). Je suis donc un Français qui n’a ni renié sa foi ni mis de côté l’amour pour son pays. Dans la vision simple et binaire que tu proposes, je réintroduis – sans effort aucun – la complexité et la nuance. Dans une France que tu voudrais manichéenne, moi et tant d’autres représentons ce mélange possible entre foi d’une part et amour du pays d’autre part. Et c’est précisément la raison pour laquelle je me devais de t’écrire ce texte, pour montrer que, finalement, le schéma que tu nous dessines est loin d’être la règle mais l’exception. Oui Marion, on peut être musulman et aimer la France ou, si tu préfères, on peut aimer la France tout en étant musulman. Je n’y vois, personnellement, aucune antinomie.
Te voilà donc candidate à la présidence de la région PACA. Je ne reviendrai pas sur les circonstances de ta désignation, cela n’est pas important. Toutefois, je me permets de revenir sur le début des campagnes et notamment un débat sur I-Télé au cours duquel tu n’as cessé de marteler que ceux qui importaient étaient les habitants de la région et qu’il ne fallait en aucun cas faire de cette élection une élection nationale. Sur ce point précis je te rejoins totalement. Le conseil régional a certaines prérogatives bien définies et il s’agit de répondre au mieux aux attentes des Provençaux, des Alpins et des Azuréens à l’aide des moyens laissés à la disposition de la région. Quelle ne fut pas, alors, ma déception quand meeting après meeting, rencontre après rencontre je t’ai vue te préoccuper d’à peu près toutes les problématiques nationales – ne te privant d’ailleurs pas de tacler le prétendu laxisme du gouvernement – mais en aucun cas t’occuper du sort de la région. Quelques propositions ci et là, auxquelles j’apporterai une réponse plus tard, mais pas de véritable projet pour une région qui en a pourtant cruellement besoin.
Mais soit, puisque tu t’engages aussi fortement sur des sujets nationaux telle que l’identité française pas plus tard que mardi dernier, je me permets de te répondre aussi sur ce point. « Qui n’a pas vibré au sacre de Reims et à la fête de la Fédération n’est pas vraiment Français » as-tu déclaré mardi lors d’un discours à Toulon. Je constate donc, avec regret, que selon toi je ne suis pas vraiment Français puisque je n’ai vibré ni au sacre de Reims, ni à la fête de la Fédération. En prenant connaissance de cette découverte tu n’imagines pas à quel point j’ai pu être déçu moi qui aime profondément ce pays qui est le mien. Passé la déception je me suis ressaisi et j’ai réfléchi à nouveau à ta phrase. C’est à ce moment que je me suis rendu compte que toi aussi tu devais être déçue en la réécoutant. Toi qui te définit comme grande patriote, toi qui défend la France envers et contre tout (surtout contre les musulmans en ce moment mais bref passons), toi non plus tu n’as pas vibré au sacre de Reims ou à la fête de la Fédération pour la simple et bonne raison que tu n’étais pas née tout comme aucun des Français vivant actuellement n’était né à ce moment-là. Si on suit la logique de ta phrase, dans la mesure où la fête de la Fédération s’est déroulée en 1790, cela fait plus de deux siècles qu’il n’existe plus de vrais Français.
Cette petite parenthèse faite sur ces approximations de langage, revenons donc à tes propositions pour la région. Dernièrement, j’en ai retenu une frappante : ta volonté de supprimer les subventions versées par la région au planning familial. Je ne te cache pas que cette proposition m’a quelque peu surpris. Toi qui exiges l’égalité entre les différents Français, toi qui défends mordicus la France rurale pour qu’elle ait les mêmes droits que la France urbaine te voilà en train de défendre une mesure inégalitaire au possible. En coupant les subventions pour les différents plannings familiaux, tu prives une grande partie de la jeunesse d’un accès à l’information mais aussi à une aide que ce soit dans le cadre d’un avortement ou de l’accompagnement de jeunes mères isolées. Ce que tu défends d’un côté, à savoir une égalité entre les Français, tu le trahis de l’autre en réservant l’accès à l’avortement ou l’aide dans l’éducation des enfants aux seules personnes qui ont des revenus confortables. Drôle de manière de défendre le pauvre et les petites gens je trouve.
Au cours des différents discours et débats que j’ai eus l’occasion de suivre, une grande question demeurait aux abonnées absentes : la question économique. Tu n’es pas sans savoir, j’espère, que la région PACA est durement touché par le chômage et pourtant je n’ai vu aucune proposition allant dans le sens d’une création d’emplois. Passer la majeure partie de son discours à parler de l’insécurité et à critiquer tout ce qui a été fait depuis 5 ans est bien beau mais quand il s’agit de proposer un projet pour la région je ne t’entends plus. Sais-tu que la région est en charge du développement économique ? Je ne peux qu’être surpris en voyant que tu ne proposes rien de concret pour permettre, ou du moins amorcer, la mise en place d’un tel développement. Tu fustiges la délinquance et les trafics en promettant de faire arrêter ceci mais comment les faire stopper durablement si aucun moyen d’obtenir un revenu décent n’est mis en place pour les trafiquants d’aujourd’hui. Sécurité et développement économique ne peuvent aller que de pair, l’un sans l’autre est inutile et tu sembles l’oublier. A force d’être prisonnière de ton idéologie sécuritaire, tu oublies que poster des policiers en bas des tours ne créera pas d’emplois, ça ne fera que faire migrer le problème vers d’autres endroits.
Tu as l’habitude de t’inspirer de ce que tu appelles les grandes figures de l’Histoire de France dans tes discours. A l’instar de Robert Ménard, tu n’hésites pas à ériger Charles Martel au rang de héros. Permets moi de te rappeler, puisque tu sembles l’oublier souvent, que l’Histoire de France c’est aussi son héritage culturel et littéraire. Tiens la culture, encore un domaine sur lequel tu ne t’exprimes jamais ou presque. Un des grands auteurs Français, Victor Hugo, disait en son temps : « Ouvrez des écoles vous fermerez des prisons ». Et voilà le dernier sujet que je souhaite aborder dans cette lettre, celui de l’éducation. Malheureusement, tu n’as formulé aucune proposition sur le sujet et pourtant, le Conseil régional est chargé de gérer les lycées. Là encore, ton prisme sécuritaire et identitaire te fait sans doute oublier que le premier des moyens pour lutter contre les inégalités et donc contre le développement de la délinquance est l’école. Plutôt que de proposer des réformes qui permettraient un débat, tu te contentes de critiquer la politique du gouvernement en la matière. Cette position si aisée à prendre est loin d’être la plus courageuse mais pourquoi ferais-tu l’effort de proposer des choses ? Le vent du repli et de la peur du lendemain gonfle tes voiles sans que tu aies à proposer quoi que ce soit.
Finalement, je ne suis pas surpris de te voir en tête dans les sondages. Tu représentes, en effet, notre génération. Cette génération qui a peur du lendemain, qui a peur d’avoir une moins bonne vie que ses parents. Tu es le réceptacle de toutes les peurs et de tous les replis. Loin de proposer un projet politique, tu offres un miroir à ces gens qui sont transis par la peur et ce faisant tu te renforces grâce à la peur. Ah qu’il est aisé de jouer le mimétisme et de souffler sur des braises déjà présentes en prônant une unité et une égalité de façade. Il est bien plus difficile de mettre en place un projet politique permettant de dépasser lesdites peurs afin de surmonter les épreuves en tant que nation. Le plus triste, c’est qu’à notre âge nous sommes censés avoir des rêves plein la tête, nous sommes censés être au moment de notre vie où nous souhaitons le plus changer le monde. Alors oui tu veux changer le monde mais tu veux le ramener en arrière en attisant les haines et en jouant sur les divisions. Tu sépares les musulmans des non-musulmans et ce faisant, tu aides bien Daech dans sa volonté de fracturer la société française. Alors non décidément tu ne défends pas les intérêts des habitants de la région PACA malgré tous les discours que tu peux bien mettre en place. C’est précisément ce point-là qui nous sépare et nous séparera sans doute toujours.
Avant de conclure cette missive, je souhaite simplement te donner une autre raison qui fait que nous sommes diamétralement opposés. Tu dis représenter la vraie France et, désolé de te le dire, mais l’immense majorité des Français se rapprochent bien plus de ma situation que de la tienne. Parce que, finalement, tu es peut-être la plus jeune élue de la République française mais tu es surtout une parvenue parisienne profitant de son patronyme pour pavoiser alors que nombre de petits Français, comme moi, n’ont rien reçu en héritage et œuvrent à la force de leur poignet et de leur cerveau pour parvenir à s’élever et à réussir. Il est facile de jeter l’opprobre sur certains quand on est bien au chaud dans sa tour d’ivoire et que l’on ne connaît pas grand-chose de la vie que mènent beaucoup de Français au quotidien. Les 6 et 13 décembre prochains, les habitants de notre région devront décider de la manière dont elle sera gouvernée. Pour toutes les raisons que j’ai évoquées dans ce texte – et pour bien d’autres encore mais je ne veux pas abuser de ton attention et de ton temps consacré à la réflexion – j’espère de tout cœur que tu ne seras pas élue. Dans le cas contraire, je suis certain que tu continueras à tenter de diviser la région et le pays. Et si jamais tu as le temps de répondre à cette lettre, n’hésite surtout pas à le faire, ça m’intéresse de savoir ce que tu peux répondre à tout cela.
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Jean-Marie Le PEN et Marion Maréchal sur une affiche campagne des régionales en 1992

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