Ukraine – Russie : Passes d’armes commerciales entre Kiev et Moscou

LE MONDE | 05.01.2016
L’entrée en vigueur, le 1er janvier, de la partie économique de l’accord d’association signé en juin 2014 entre l’Union européenne et l’Ukraine doit constituer une nouvelle étape du rapprochement entre les deux partenaires. Elle marque surtout, pour l’heure, le début d’une nouvelle guerre commerciale entre Kiev et Moscou.

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Destruction de pêches, le 7 août 2015, à Novozybkov, ville située près de la frontière avec la Biélorussie AFP
En discussion depuis 2008, cet accord commercial vise à arrimer plus étroitement l’Ukraine à l’UE, de loin son premier partenaire commercial. Sur les 2 000 pages du document, 1 800 concernent le démantèlement progressif des tarifs douaniers et l’adaptation de l’économie ukrainienne aux normes et aux standards européens. Mais le texte a aussi une portée stratégique et symbolique qui déplaît fortement à la Russie, même si aucune perspective d’adhésion n’y est évoquée.
Moscou estime que l’accord conduira à un déferlement de produits européens sur le territoire russe
Fin 2013, c’est précisément le refus du président Viktor Ianoukovitch de signer le document – refus obtenu après de fortes pressions du Kremlin – qui a donné le coup d’envoi de la révolution de Maïdan puis a conduit à un engrenage menant à la guerre dans l’est du pays. Un an plus tard, en 2014, Moscou obtenait de l’UE que seule la partie politique de l’accord finalement signé par le nouveau pouvoir ukrainien entre en vigueur. La partie commerciale était, elle, retardée d’un an.
Cette année, la partie russe a tenté à nouveau, jusqu’au bout, d’obtenir un délai supplémentaire ou même la renégociation de l’accord, au motif qu’il portait « atteinte aux intérêts et à la sécurité économique de la Confédération de Russie ». Moscou estime notamment que l’accord conduira à un déferlement de produits européens sur le territoire russe, ce que l’UE n’a eu de cesse de démentir, mettant en avant les règles qui garantissent l’origine européenne, et donc soumise à droits de douane, des productions de l’UE.
Bruxelles a surtout affiché fermement ses positions. « Rien ne peut empêcher l’accord de libre-échange d’entrer en application », martelait la Commission fin décembre 2015.
Pour autant, et bien que rien ne l’y obligeât sur le plan légal, l’UE a intégré la Russie dans une série de discussions afin de répondre aux craintes du Kremlin. Mais après vingt-trois réunions de haut niveau, la plupart des griefs russes n’ont pu être levés.
« Motivations politiques »
Moscou a finalement choisi une autre voie, celle des mesures de rétorsion. Le 16 décembre 2015, le président Vladimir Poutine a signé un décret suspendant l’application à l’Ukraine d’un traité instaurant des tarifs douaniers préférentiels entre plusieurs ex-républiques soviétiques.
Résultat, les marchandises en provenance du territoire ukrainien sont désormais soumises depuis le 1er janvier à des droits de douane de 7 % en moyenne.
Lors de sa conférence de presse du 17 décembre 2015, Vladimir Poutine avait réfuté l’idée que ces mesures s’apparentaient à des « sanctions » contre son voisin. Mais quelques jours plus tard, le 21 décembre, son premier ministre, Dmitri Medvedev, annonçait l’extension à l’Ukraine de l’embargo sur les produits alimentaires déjà imposé aux pays membres de l’UE et à d’autres pays occidentaux.
Le commerce entre Kiev et Moscou a été divisé par deux depuis le début de la crise
Une mesure qui devrait coûter environ 600 millions d’euros par an à l’Ukraine. La suspension de la zone de libre-échange avec la Russie est, elle, évaluée aux alentours de 820 millions d’euros.
Elle devrait surtout accentuer la bascule de l’économie ukrainienne vers l’Ouest : le commerce entre Kiev et Moscou a en effet déjà été divisé par deux depuis le début de la crise, et la Russie n’absorbe plus que 12 % des livraisons ukrainiennes.
Selon une source à la délégation de l’UE à Kiev, qui a participé aux discussions, « les motivations des Russes étaient purement politiques, appuyées par des arguments très faibles ». « Inviter Moscou à la table des discussions était déjà une faveur, note ce diplomate, comme si l’on invitait la Chine à donner son avis sur le Traité transatlantique. Ce qui gêne les Russes, c’est que l’Ukraine continue à se rapprocher de l’Europe, et que cela enterre l’espoir de la voir un jour rejoindre l’Union eurasiatique. »
Un défi de taille pour l’Ukraine
Kiev a annoncé sa riposte, samedi 2 janvier, avec l’introduction d’un droit de douane pour les produits russes, au taux non précisé, et, à partir du 10 janvier, un embargo plus important que celui mis en place par Moscou, comprenant, en plus de certains produits agricoles, une interdiction d’importer des cosmétiques et des équipements pour chemins de fer et locomotives.
Cette nouvelle passe d’armes commerciale s’ajoute au conflit gazier entre les deux pays, au boycott mutuel qu’appliquent leurs compagnies aériennes et au contentieux sur la dette de 2,8 milliards d’euros que Kiev refuse de rembourser à Moscou.
Le président ukrainien, Petro Porochenko, a reconnu que la suspension par Moscou des tarifs préférentiels allait « porter préjudice » à l’économie ukrainienne. « Après avoir échoué dans leur assaut militaire, ils essaient de nous étrangler économiquement et de provoquer une explosion sociale (…). Nous sommes prêts à payer le prix pour notre liberté et notre choix européen », a-t-il lancé.
Le défi est toutefois de taille pour Kiev, même si l’accord prévoit un accompagnement financier de l’ordre de plusieurs centaines de milliers d’euros par an, en plus des prêts accordés par le Fonds monétaire international ou l’Union européenne.
De nombreux chefs d’entreprise expriment toutefois leur inquiétude face à la perspective d’affronter la concurrence européenne. « Une partie de l’économie ukrainienne va souffrir, concède-t-on d’ailleurs du côté de l’UE, mais plus du fait du sous-investissement des deux dernières décennies que d’une concurrence frontale qui concerne finalement peu de productions. »
L’analyste Sergueï Fursa, de Dragon Capital, à Kiev, met, lui, en avant les avantages de la forte dévaluation de la monnaie ukrainienne, qui favorise les productions nationales. « Quant à l’embargo, le Kazakhstan et la Biélorussie ont refusé de l’appliquer, note-t-il. Les produits ukrainiens entreront en Russie par ce biais-là. »
Lire aussi : La Russie cesse ses livraisons de gaz à l’Ukraine
Kiev attend l’argent du FMI
Le Fonds monétaire international (FMI) doit encore verser à l’Ukraine 1,7 milliard de dollars (1,5 milliard d’euros) d’assistance financière au titre du plan d’aide de 17,5 milliards de dollars accordé en mars 2015. Ce versement dépend du jugement porté par le Fonds sur le budget ukrainien pour 2016 qui prévoit un déficit de 3,7 % du produit intérieur brut (PIB). A la mi-décembre 2015, l’institution avait insisté sur l’importance pour Kiev de mettre en œuvre des réformes structurelles, d’élargir les bases taxables et de maîtriser les dépenses publiques. Le pays vient de subir une seconde année de forte récession (– 9 % selon le FMI). Pour assurer le retour à la croissance en 2016 (+ 2 %), la poursuite du plan d’aide est indispensable. Mais le défaut annoncé de l’Ukraine vis-à-vis de la Russie sur un remboursement de 3 milliards de dollars complique et retarde le calendrier du FMI.
Par Christophe Garach (Bruxelles, correspondance) et Benoît Vitkine

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