Ukraine-Russie : l’absurde affrontement

LE MONDE | 05.01.2016
Editorial du « Monde ». Voilà donc entré en vigueur ce fameux traité, celui par lequel la guerre est arrivée en Europe. Depuis le 1er janvier, l’accord d’association signé en juin 2014 entre l’Union européenne (UE) et l’Ukraine est opérationnel. Comme des dizaines d’autres accords de libre-échange déjà conclus entre l’UE et des pays tiers, il marque un rapprochement économique entre les deux parties, sans évoquer aucune perspective d’adhésion de Kiev à l’Union.
Mais de même qu’une éventuelle entrée de l’Ukraine dans l’OTAN s’est toujours heurtée au veto catégorique de l’Allemagne et de la France et n’est ainsi pas au programme, cette seule esquisse d’un rapprochement économique entre l’ex-République soviétique et l’UE a suffi, à l’automne 2013, à susciter l’ire de Moscou.
En s’éloignant de l’aire stratégico-économique russe, Kiev mettait à mal le grand projet de Vladimir Poutine de recréer, sous forme d’Union eurasiatique, une zone, sinon sous tutelle, du moins sous influence de Moscou. Sans le poids économique de l’Ukraine – près de 43 millions d’habitants, une vraie base industrielle et agricole –, pareil assemblage, limité pour l’heure au Kazakhstan et à la Biélorussie, n’a pas grand sens.
Tout s’est passé comme si M. Poutine avait du mal à enterrer la vieille doctrine de la souveraineté limitée imposée par le Kremlin aux satellites de la Russie du temps de l’URSS. Mais tout s’est aussi passé comme si les fonctionnaires de Bruxelles chargés de la négociation avec Kiev avaient, dans leur arrogance ou leur ignorance de l’Histoire, totalement sous-estimé les liens ancestraux – religieux, affectifs, familiaux, linguistiques, pour ne pas parler de l’économie – existant entre l’Ukraine et la Russie. Il fallait négocier en prenant cette réalité en compte, ils ne l’ont pas fait.
L’entrée en vigueur de l’accord devrait être l’occasion d’une négociation globale pour entériner le libre choix de Kiev et envisager la levée des sanctions économiques pesant sur la Russie
4648701_3_a398_kiev-et-moscou-s-accusent-mutuellement-de_d604a61c3b2b2d3637fb0d4d125476c4La réponse du Kremlin n’en a pas moins été inadmissible. Ce fut d’abord la guerre économique contre Kiev. Puis, la pression de Moscou poussa le président ukrainien Viktor Ianoukovitch à revenir sur ses engagements et à refuser de signer ledit accord conclu avec l’UE, qu’il avait d’abord accepté ; au grand dam de la Russie, cela déclencha la « révolution de Maïdan », il y a deux ans. On sait ce qui s’ensuivit : de la mainmise sur la Crimée au soutien armé à la rébellion séparatiste de l’est du pays, M. Poutine a choisi l’agression.
Que veulent les Ukrainiens ? D’abord et avant tout, sortir d’un moule hérité de l’URSS, où le capitalisme d’Etat le plus corrompu, copinant avec le gangstérisme, marche main dans la main avec l’autoritarisme politique. Et s’aligner progressivement sur le modèle européen. Ce choix, confirmé par une série d’élections libres, doit être défendu.
Que faire, maintenant ? Fin 2014, l’UE a accepté de repousser d’un an la mise en vigueur de l’accord : la Russie disait en redouter l’impact sur son commerce extérieur. Mais, n’acceptant décidément pas le virage pro-européen de l’Ukraine, le Kremlin prend aujourd’hui des mesures de rétorsion commerciale contre Kiev.
4841609_7_c0ad_une-file-de-camions-a-la-frontiere-entre_05d03320260ffc3789ece3d8cdad333fC’est absurde. Les deux économies sont déjà mal en point. L’entrée en vigueur de l’accord devrait être, au contraire, l’occasion d’une négociation globale à trois – Russie, UE, Ukraine – pour entériner le libre choix de Kiev, sortir du conflit post-Maïdan, comme le prévoient les accords dits de Minsk, et envisager la levée des sanctions économiques pesant sur la Russie. Il arrive qu’il faille globaliser les problèmes pour trouver des solutions.

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