Police – Justice : A Osny, un groupe de détenus « radicalisés » découvre les vertus du dialogue

LE MONDE | 14.01.2016 |
« Le Monde » a pu rencontrer des détenus … Ils constituent le premier groupe de détenus à s’être portés volontaires pour une expérience pilote de lutte contre la radicalisation islamiste en prison.

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« Avant, je ne parlais pas aux femmes », « Avant, je n’aimais pas les juifs », « Avant, j’étais en Syrie » Dans une petite salle de la prison d’Osny (Val-d’Oise), neuf détenus assis en cercle sur une chaise racontent leur parcours au premier journaliste autorisé par l’administration pénitentiaire à les rencontrer dans le cadre d’un reportage. Ils constituent le premier groupe de détenus à s’être portés volontaires pour une expérience pilote de lutte contre la radicalisation islamiste en prison.
Barbe fournie et survêtement du PSG, Noureddine (les prénoms ont été modifiés), 37 ans, a été condamné à huit ans de détention pour avoir administré un site djihadiste. Face à lui, Ahmed, 24 ans, est rentré traumatisé de son escapade dans les rangs de l’organisation Etat islamique. A sa gauche, Fatih, 20 ans, aussi chétif qu’introverti, avait stocké chez lui un arsenal de petit chimiste pouvant servir à fabriquer des explosifs. Outre ces trois hommes incarcérés pour « terrorisme », le groupe se compose de détenus de droit commun signalés pour radicalisation et de « leaders positifs » réputés pour leur aptitude à dialoguer.
« On tâtonne »
Ce programme a été lancé en avril par l’Association dialogues citoyens et l’Association française des victimes du terrorisme (AFVT). Il doit servir de méthodologie au cursus qui sera mis en place dans les cinq futurs « quartiers dédiés » – réservés aux éléments les plus radicaux – qui seront inaugurés entre fin janvier et mars dans quatre établissements pénitentiaires.
Il sera également reconduit au printemps pour certains détenus du régime général de détention d’Osny, tandis que plusieurs prisons de la région parisienne s’apprêtent à expérimenter d’autres pistes de travail. « C’est la première fois qu’on s’attaque à ce problème. On tâtonne », résume Géraldine Blin, directrice du projet de lutte contre la radicalisation à l’administration pénitentiaire.
Contrairement aux expériences menées dans d’autres pays d’Europe, l’approche française exclut pour l’heure le contre-discours religieux. Il ne s’agit pas d’opposer à l’idéologie radicale une version acceptable de l’islam ou de la République. Ce cursus, baptisé « engagement citoyen », s’attache à travailler l’ouverture au dialogue.
« On n’est pas là pour remettre en cause leurs convictions, explique la sociologue Ouisa Kies, qui dirige le programme. Ce n’est pas tant leur vision de la société qui pose problème que le recours à la violence pour l’imposer. On a donc choisi ceux qui présentaient un risque de récidive violente, et qui seraient volontaires et réceptifs. » « On n’a pas pris les plus durs : ceux-là, on sait qu’on ne les déradicalisera pas », sous-titre un responsable de l’administration pénitentiaire.
« Charlie, Charb là, c’est un petit con, il aurait pas dû faire ça »
Durant sept semaines, ces détenus ont participé à des groupes de parole avec des intervenants aux profils très variés : Rokhaya Diallo, musulmane et militante féministe, a débattu avec eux d’engagement citoyen et de discriminations ; Adrien Chauvin, rédacteur en chef du Bondy Blog, des médias et des théories complotistes ; Yazid Kherfi, ex-braqueur devenu médiateur, de la réinsertion ; le sociologue Farhad Khosrokhavar et l’ancien haut-fonctionnaire Pierre Conesa ont parlé avec eux du monde contemporain, et une aumonière musulmane du fait religieux et de laïcité.
Mercredi 6 janvier, ils sont revenus sur cette expérience avec un journaliste du Monde. La discussion dérive naturellement sur les attentats ayant frappé la France en janvier 2015. Rachid, condamné pour des faits de violence, en propose une lecture ambivalente : « Les caricatures du Prophète, je suis pas d’accord. Charlie, je l’aurais pas tué, mais je l’aurais foutu par terre. » « Il te suffit de pas acheter le journal pour montrer que tu n’es pas d’accord », le coupe Patrick, un « leader positif ». Le visage de Rachid se durcit. Sa colère, héritée d’une enfance émaillée d’abus, se cristallise sur le journal qui a « souillé » sa foi : « Charlie, Charb là, c’est un petit con, il aurait pas dû faire ça. »
Ahmed, qui est rentré de Syrie, tente de prévenir les éventuelles envies de départ de son voisin : « Tu crois que tu vas aider les gens en Syrie, moi, je vais te dire, cette guerre est partie en couille. Tu ne sauras même pas qui tu combats. Je suis tombé de haut. Quand tu entends tes propres frères dire des horreurs sur des types qui pourraient être moi, ça fait peur. Ils sont dans un esprit de purification… » Rachid grommelle, crispé sur quelques bribes de certitudes mal digérées. « Ecoute Ahmed, lui, il a été sur place », le sermonne Patrick.
« Un lourd vécu traumatique »
Ahmed est un jeune homme intelligent. Plusieurs intervenants estiment qu’il est déconnecté de ses émotions et s’interrogent dès lors sur sa sincérité. Lors d’une séance de thérapie psycho-corporelle, il a pourtant exprimé un premier souvenir de Syrie : il a vomi. « Je conçois qu’il soit difficile à entendre pour le grand public qu’on déradicalise avec des ateliers thérapeutiques, anticipe Géraldine Blin. Mais la majorité a un lourd vécu traumatique. On est obligé de le prendre en compte, si on veut traiter le mal à la racine. Ils ont manqué certaines étapes de la socialisation. On travaille sur la relation à l’autre. »
Rachid, qui traîne une enfance douloureuse et en veut toujours à « Charb », tient spontanément à se confesser. A l’en croire, ce programme serait venu à bout de son antisémitisme : « Moi, depuis tout petit, on me disait qu’il fallait pas aimer les juifs. On a grandi dans des ghettos fermés, tout était fermé, même nos têtes. On se pose pas toujours les bonnes questions. Un intervenant m’a fait changer d’avis. » Il s’agit de Latifa Ibn Ziaten, la mère d’un militaire tué par Mohamed Merah, intervenue en marge du programme.
Il est encore trop tôt pour jauger l’efficacité de ces groupes de parole et la sincérité de leurs participants. Un élément semble cependant conforter l’intuition de l’administration pénitentiaire : ces détenus dialoguent, donnant ainsi une chance à leur pensée de se décloisonner. « C’était un groupe extrêmement violent, souligne Ouisa Kies. Au bout d’un moment, ils ont appris à s’écouter, à lever la main avant de parler. C’est un signe important. » « Ici, on discute, intervient Noureddine. C’est pas comme à la promenade. »
Le parcours de Noureddine, que ses codétenus s’accordent à qualifier d’exemplaire, semble contredire à lui seul nombre de préjugés sur l’univers carcéral : « Avant, je ne parlais à personne, ni aux femmes ni mêmes aux autres musulmans. J’avais fermé les volets. Pour protéger ce à quoi on croit, on s’enferme parfois. En prison, pour la première fois de ma vie, j’ai parlé à des athées, des cathos, des Basques… Des femmes m’ont beaucoup aidé : maintenant, j’ai bonheur à leur serrer la main. La prison a bouleversé mes pensées. »
« Interpréter leur sincérité »
Comment mesurer le degré d’authenticité d’un homme qui rêve de liberté ? Tout le défi de ce programme consistera à faire la part entre ceux qui ont évolué et les radicaux dissimulés. « La difficulté sera d’interpréter leur sincérité afin d’adapter leur suivi et de les aiguiller ou non vers les quartiers dédiés », explique le directeur de la prison, Renaud Seveyras. Un travail délicat qui mobilise l’ensemble du personnel pénitentiaire : surveillants, agents du renseignement, conseillers d’insertion ou encore aumôniers.
A l’issue d’âpres débats, il a été décidé qu’aucun des volontaires de ce groupe ne rejoindrait les unités dédiées. Ce ne sera pas forcément le cas pour tous les membres du deuxième groupe pilote d’Osny, pour lequel le programme a été plus compliqué. « Des intervenants pensent que certains participants sont dans la dissimulation. D’autres constatent que leur comportement a changé. Leur degré d’authenticité est très dur à évaluer, souligne Géraldine Blin. On manque de recul, car on n’a jamais essayé de traiter ce problème. »
Ce programme expérimental ne prétend pas résoudre la question de la radicalité, qui interroge l’ensemble de la société. L’administration pénitentiaire s’appuie sur une statistique peu connue : seuls 16 % des détenus incarcérés pour terrorisme étaient déjà passés par la prison. La grande majorité a été endoctrinée hors les murs, souvent sur Internet.
Pour autant, les terroristes ayant commis des actes violents avaient presque tous un passé carcéral. Afin de contrer la menace, l’administration pénitentiaire s’est donc inspirée du travail qu’elle a toujours effectué, avec plus ou moins de bonheur, sur les détenus condamnés pour violence : prévenir le passage à l’acte plutôt que combattre l’idéologie qui le sous-tend.
Combien de détenus radicalisés en prison ?
Ce programme pourrait concerner à terme entre 700 et 2 000 détenus de droit commun, sur les quelque 68 000 pensionnaires des prisons françaises, auxquels s’ajoutent quelque 230 détenus pour terrorisme. L’absence de chiffres officiels sur la radicalisation en prison a plusieurs explications : « Nous n’avons pas encore d’outil de mesure fiable, explique un cadre de l’administration pénitentiaire. Par ailleurs le fichage est interdit, et il n’existe aucune définition de la radicalité, qui ne s’appuie sur aucun élément matériel. Les plus radicaux sont souvent les moins visibles ».
Par Soren Seelow journaliste

A propos kozett

Deux phénomènes peuvent amener à une manipulation dans la prise en compte des informations par notre conscience : --> Le mirage qui voile et cache la vérité derrière les brumes de la sensiblerie et de la réaction émotionnelle. --> L’illusion qui est une interprétation limitée de la vérité cachée par le brouillard des pensées imposées. Celles-ci apparaissent alors comme plus réelles que la vérité qu’elles voilent, et conditionnent la manière dont est abordé la réalité … A notre époque médiatisée à outrance, notre vigilance est particulièrement requise !
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