L’âge de faire – 14 janvier 2016 – Lisa Giachino –
« Dans notre imaginaire, on a dépassé l’aéroport » A Notre-Dame-des-Landes, les occupants de la Zad expérimentent un mode de vie hors norme. C’est une autre façon de désobéir au système, qui va bien au-delà de la lutte contre le projet d’aéroport.
A Notre-Dame-des-Landes, la désobéissance ne consiste plus seulement à s’opposer, au jour le jour et pied à pied, à un projet. Depuis la fin de l’opération César, qui a détruit en 2012 onze maisons en dur et de nombreuses cabanes, les habitants de la Zad (Zone à défendre) sont entrés dans une phase de construction et d’expérimentation d’un mode de vie hors norme.
Il se crée une véritable autonomie politique et pratique
, décrit une occupante de la zone. Venus à Paris en convoi à l’occasion de la COP21, les zadistes ont apporté leur témoignage au cours de nombreuses rencontres. Hommes et femmes, ils se font tous appeler Camille devant les médias. Une façon d’endosser ensemble les responsabilités de la désobéissance civile, et de s’exprimer de façon collective au nom des 150 à 200 personnes vivant sur la Zad.
De façon paradoxale, le projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes a, pendant plus de quarante ans, préservé le bocage des remembrements et des nouvelles constructions : l’aménagement du territoire a été gelé sur les 1 650 hectares concernés.
S’il n’y a plus d’aéroport, il y aura encore une lutte à mener pour que ces terres n’entrent pas dans la logique habituelle. Dans notre imaginaire, on a dépassé l’aéroport. On ne veut pas partir. Il faut que cet espace reste libéré, que les formes de vie que nous expérimentons perdurent sur le territoire.
La majeure partie des 1 650 hectares appartient au Conseil départemental, qui a acquis des terres petit à petit. Un peu plus de 600 hectares font encore l’objet de procédures d’expropriation à l’encontre de leurs propriétaires, opposés au projet d’aéroport. Sur les 47 exploitations agricoles concernées par le projet, 11 sont en lutte et se retrouvent également en procédure d’expropriation. 220 hectares de terres agricoles sont par ailleurs occupés par les zadistes, qui ont également établi des habitats et jardins sur certaines friches.
A la suite de l’appel « Sème ta Zad », lancé en 2013, de nombreux projets agricoles ont émergé : élevage bovin et fabrication de fromages et yaourts ; culture à grande échelle d’oignons, pommes de terre et poireaux ; production de blé, sarrasin et seigle pour la boulangerie ; installation d’une meunerie… sans oublier les jardins vivriers.
Société civile ou communaux ?
Les occupants expérimentent la gestion collective des terres et du matériel. « Beaucoup d’agriculteurs du collectif Copain (2) avaient amené de vieux tracteurs et vieilles machines pour défendre les lieux de vie de la Zad. Nous avons fait des ateliers de réparation de ce matériel qui a été mis en commun. » Des réflexions sont en cours pour pérenniser l’usage collectif des terres au-delà de la lutte contre l’aéroport. Parmi les pistes envisagées, figurent la création d’une structure inspirée de la Société civile des terres du Larzac, ainsi que la réinvention des « communaux », ces terres utilisées et entretenues collectivement au cours des siècles passés. Les différents acteurs de la lutte sont tombés d’accord sur trois objectifs conjoints : permettre aux agriculteurs « historiques » de continuer à exploiter leurs terres en bénéficiant d’un statut stable ; maintenir et développer des habitats collectifs et des projets agricoles « hors cadre » ; installer de nouveaux projets agricoles, s’inscrivant ou pas dans le cadre habituel.
Car si le projet d’aéroport est abandonné, tous devront dépasser les enjeux de la lutte qui les réunit aujourd’hui pour continuer à construire un projet collectif tenant compte de leur diversité. « Nous avons plein de visions, de perspectives, d’analyses différentes, qui entrent parfois en conflit. Nous ne cherchons pas à vivre les mêmes choses ! Des gens parmi nous font de l’élevage, d’autres sont contre l’élevage. Nous comptons des féministes et des militants LGBT, tandis que d’autres occupants trouvent que ces combats sont dépassés. Il y a au sein de la lutte des agriculteurs conventionnels. La Zad est un espace de rencontre, d’échanges, de croisements. »
Des médiateurs tirés au sort pour apaiser les conflits
Ce soir-là, au Jardin d’Alice, un restaurant associatif de Paris, l’assistance questionne les occupants : quels sont leurs outils pour trouver des points d’accord ? « Le temps », répondent Camille, Camille et Camille… « Avec les années, il y a plus de compréhension. » Les chantiers collectifs sont un moyen efficace de mieux se connaitre. En ce qui concerne la prise de décision,
il n’y a pas d’organisation très claire, mais une interconnexion de plusieurs espaces auxquels chacun peut participer : la réunion hebdomadaire des habitants, l’assemblée mensuelle du mouvement qui réunit les occupants, les associations et les participants extérieurs, et une multitude de réunions à différentes échelles.L’une des Camille