Vivre vieux ne veut pas forcément dire vivre mieux !

Charlie Hebdo – 27/01/2016 – Fabrice Nicolino –
Est-ce qu’on va vivre 150 ans ? C’est pas gagné. Selon l’Insee, l’espérance de vie a baissé en 2015, pour la première fois depuis 1969. Mais pourquoi ? Les officiels de l’optimisme, Le Monde en tête,veulent croire que ça repartira en 2016…
La presse. La bonne presse sérieuse. Le grand journal de référence. Le Monde en majesté. On y apprend la semaine passée que l’espérance de vie a reculé pour la première fois en France depuis 1969. Les hommes pourraient espérer vivre 18,9 ans, soit une baisse de 0,3 année par rapport à 2014. Et les femmes 85 ans, soit moins 0,4 année.
56845271_pLà-dessus, Le Monde daté du mercredi 20 janvier. En « une » du quotidien, cette annonce « Le phénomène, conjoncturel, s’explique par une mortalité élevée, notamment en raison de neuf semaines d’épidémies de grippe. » On note avec plaisir l’usage du présent, qui rassure grands et petits, à commencer par les vieux. Mais en page intérieure, merde, l’info devient conditionnelle, qui barre la page 9 : « Selon l’Insee, cette baisse serait conjoncturelle. » La faute à la canicule. La faute à la grippe. Comme s’il n’y avait pas eu de canicule en 2003. Comme s’il n’y avait pas, rituellement et régulièrement, des surmortalités liées à la grippe.
Que croire, amis mortels ? Charlie n’entend pas jouer les devins, mais peut tout de même avancer quelques pistes. Commençons par une évidence : l’espérance de vie est une mythologie nationale. On y croit parce que, autrement, ça craint. Quiconque critique la marche de ce monde à l’abîme se retrouve tôt ou tard en face d’un argument en forme de massue paléolithique : oui, mais l’espérance de vie augmente. Eh ben, c’est pas si simple.
Il existe en effet deux indices pour illustrer le propos. Le premier, celui que nous servent les grands journaux respectables, c’est l’espérance de vie brute et brutale. On peut espérer vivre tant d’années. Mais le second, recommandé par l’Union européenne, est celui de l’espérance de vie sans incapacité (EVSI). Notons ensemble que ce n’est pas idiot, car si l’on est atteint d’Alzheimer, par exemple, ou incapable de sortir admirer l’air bleu d’avril ou de mai, ou l’air blanc de décembre, est-il bien utile d’arriver à 150 ans ?
La santé publique se dégrade
Or l’indice EVSI baisse depuis plusieurs années déjà, sans que quiconque s’en soit préoccupé. Selon les chiffres broyés par l’Institut national d’études démographiques (Ined) l’EVSI des hommes en France est passé de 62,7 années à 61,9 années, entre 2008 et 2010. Et pour les femmes, de 64,6 à 63,5 ans. Mais dans ces conditions, faut-il considérer que la santé publique se dégrade ? C’est possible, et c’est même certain.
Pays-pauvres-hausse-l-esp-rance-vieLe cancer ? On est passé de 170 000 cas recensés en 1980 à 355 000 en 2012. Soit une augmentation de 107,6 % chez les hommes et de 111,4 % chez les femmes. L’obésité ? Elle a globalement doublé chez les adultes entre 1997 et 2012, provoquant ou aggravant d’autres maladies, cardiaques par exemple. Le diabète ? Entre 2000 et 2009, le nombre de diabétiques est passé de 1,6 à 2,9 millions. Chiffre auquel il faut ajouter entre 600 000 et 700 000 cas qui s’ignorent. La France pourrait atteindre 5 millions de cas dans dix ans. Alzheimer ? Officiellement, 860 000 cas étaient enregistrés en 2010, mais les projections évoquent un Himalaya de 2 millions de cas dans moins de cinq ans.
La liste n’est pas limitative, mais pour l’instant, on en restera là. Face à ce tsunami de très mauvaises nouvelles, il existe  au moins deux types d’attitudes. La réponse officielle est donnée par l’Académie des sciences et l’Académie de médecine – toutes deux très gentilles avec les industriels – « Contrairement à certaines allégations, le nombre de cancers liés à la pollution de l’eau, de l’air et de l’alimentation est faible en France. De l’ordre de 0,5 %, il pourrait atteindre 0,85 % si les effets de la pollution de l’air atmosphérique étaient confirmés. »  Dans le même genre de beauté, le cancérologue David Khayat, sur France Inter, le 21 novembre 2015 : « Sur l’ensemble de ces 150 000 morts [par an, du cancer], il est vraisemblable que moins de 3 000 à 4 000 de ces morts sont liés à la pollution. » A l’autre bout du spectre, le prefesseur Dominique Belpomme, lui aussi cancérologue, pour lequel 70 % des cancers auraient, au sens large, des causes environnementales.
La vérité du monde commence à apparaître
Qui a raison ? Car un nombre désormais colossal d’études parues  dans les meilleures revues scientifiques de la planète rebattent toutes les cartes. Elles montrent les liens, parfois étroits, entre la prolifération de molécules chimiques de synthèse et l’apparition ou la multiplication de maladies graves, de l’obésité au diabète, des allergies aux malformations néonatales, sans compter bien entendu le cancer. La chimie n’est évidemment pas responsable de tout, mais un chiffre à lui seul donne une idée du problème : la production mondiale  de produits chimiques est passée de 1 million de tonnes vers 1930 à plus de 500 millions de tonnes aujourd’hui. Est-ce contrôlable ? Non.
IND_16_03_03La question de l’espérance de vie – brute et brutale – doit être examinée à cette aune. Il est parfaitement raisonnable de calculer la durée de vie réelle des humains. Mais l’est-il de transformer cette durée en espérance ? Telle est la question centrale. On sait avec certitude que les humains vivent en moyenne de plus en plus vieux. Jusqu’ici. Mais en projetant ces chiffres sur un très hypothétique avenir, en prolongeant des courbes jusqu’à la fin de ce siècle, on se comporte comme des bonimenteurs. Notamment parce que ceux qui meurent aujourd’hui à 90 ans et plus n’ont pas connu, au moment où se formaient leur organisme et leur système nerveux, les pollutions de l’air, de l’eau, des fruits, des légumes, du pain, du fromage et du vin. Il faudrait donc penser, ou plutôt croire, que les bouleversements intervenus dans tant de domaines vitaux de la vie quotidienne ne pèseront rien. C’est grand.
Peut-être que la baisse de 2015 sera balayée l’an prochain par une nouvelle poussée de l’espérance de vie. Peut-être. Mais peut-être bien que la vérité du monde commence à apparaître.

A propos werdna01

Hors des paradigmes anciens et obsolètes, libérer la parole à propos de la domination et de l’avidité dans les domaines de la politique, de la religion, de l’économie, de l’éducation et de la guérison, étant donné que tout cela est devenu commercial. Notre idée est que ces domaines manquent de générosité et de collaboration.
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