4 bonnes raisons de ne pas commander chez Amazon

Antigone XXI – 17/02/2016 –
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Quand on flâne en librairie, on se rend rapidement compte que chacune d’elle a une identité. Certes, on retrouve les grandes maisons d’éditions, les prix littéraires, les auteurs à succès, mais on peut également découvrir de nouvelles maisons d’édition qui font un travail remarquable, se laisser surprendre par la mise en avant d’un titre oublié ou acheter le dernier coup de cœur du libraire qui n’est pas forcément celui dont tout le monde parle dans les media.
Si on jette un coup d’œil aux meilleurs ventes Amazon en littérature, on y trouve en ce moment L’horizon à l’envers de Marc Lévy chez Pocket, Je dirai malgré tout que cette vie fut belle de Jean D’Ormesson aux éditions Gallimard et un bon vieux Ken Follett, Aux portes de l’éternité, en livre de poche. Je n’ai rien contre ces livres qui figurent également dans ma librairie. Mais c’est amusant de voir que chez nous, les meilleures ventes diffèrent radicalement : Mademoiselle Haas de Michèle Audin, aux éditions de l’Arbalète, L’autre Joseph de Kethevane Davrichewy, chez Sabine Wespieser Editeur ou, enfin, L’attente du soir de Tatiana Arfel, aux éditions Corti. Des textes de qualité, publiés par des éditeurs moins connus et que nous soutenons.
Amazon a lancé sa première librairie physique le 3 Novembre dernier à Seattle, une librairie constituée à partir des meilleures ventes sur le net, et on peut douter que nos auteurs favoris y figurent… Récemment, Pete Fromm, auteur américain de grand talent publié aux éditions Gallmeister, nous expliquait justement son désarroi face au marché du livre américain : il est très heureux de l’accueil français et, surtout, de la diversité si précieuse que nous maintenons avec conviction et envie.
Ne mettre que des best-sellers en avant revient à imposer une forme de dictature. Il suffit de prendre le modèle anglo-saxon pour s’en apercevoir. Les librairies ont quasiment disparu, laissant place à de grandes surfaces dépourvues de titres de fonds.
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Entrepôts d’Amazon
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Sans même parler de conseils et de contact humain, la librairie est d’abord un commerce. C’est à dire un lieu ouvert dans un quartier. Je ne sais pas vous, mais moi, j’apprécie quand je rentre le soir chez moi, souvent à la nuit tombée, de trouver des cafés, des cavistes, des librairies ouvertes qui me rassurent et me font me sentir moins seule. La vie d’un quartier se retrouve dans ses commerces, les animations organisées pour les plus jeunes, les conseils aux parents, un sourire aux plus anciens. Un lien qu’on ne trouve pas derrière son écran.
Dans ma librairie, on organise en moyenne deux rencontres par mois, on fait aussi un prix des lecteurs, c’est devenu un lieu d’échanges, un repère pour les amoureux des livres. On ouvre tous les jours, le dimanche aussi. On essaie, autant que possible, de satisfaire les gens, d’orienter, de proposer et de commander ce que l’on n’a pas.
Parfois, c’est dur, les livres n’arrivent pas. Pour une raison ou une autre, ils peuvent être défectueux, mal imprimés, oubliés dans un carton. Chaque fois, on explique calmement, on rembourse quand on est en tort, on échange pour arranger le client (parfois même quand il a oublié son ticket de caisse, parce qu’à force on le connaît, le client, on le reconnaît même). Commander sur Amazon, c’est faire fermer un lieu comme le nôtre, où les collégiens d’en face viennent se réfugier et où les clients découvrent parfois un livre qu’ils ne cherchaient pas.
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Rencontre avec l’équipe de Charlie Hebdo à l’Usage du Monde en décembre 2014
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On entend souvent à la radio, à la télé aussi, qu’Amazon est le premier employeur… On ne sait pas trop ce que ça veut dire, mais ça a l’air important. C’est une petite phrase qu’on peut ressortir dans les dîners un peu mous, quand on ne sait pas quoi dire.
Amazon est en réalité une entreprise qui viole en permanence les droits fondamentaux de son personnel et exerce une pression constante à l’égard des employés, mais aussi de toute la chaîne éditoriale. Amazon impose une remise de 50% aux éditeurs (contre les 30% – 35% habituellement alloués aux libraires), pourquoi ? Parce qu’Amazon refuse de vendre des livres en deçà de cette remise. Comment refuser pareil chantage ? Ajoutons par ailleurs que cette belle société est passée maître dans le recours à la fraude fiscale.
A contrario, les librairies indépendantes paient leurs impôts et emploient du personnel qualifié, le plus souvent en CDI. C’est d’ailleurs dans l’intérêt de notre commerce : qui aime se faire conseiller par un vendeur interchangeable ? L’Usage du Monde emploie aujourd’hui quatre personnes. Nous avons créé deux postes en cinq ans d’existence. Deux libraires d’exception qui ont fidélisé une autre clientèle et ont, de ce fait, grandement participé au développement de la librairie.
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Rencontre du Club des Jeunes Lecteurs avec Marie Desplechin
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Je lis souvent dans les commentaires des acheteurs qu’ils privilégient Amazon car « c’est moins cher », plus rapide aussi. Et je me rends compte qu’il y a un vrai lavage de cerveau de la part d’Amazon et une méconnaissance aussi de la loi Lang.
En France, depuis 1981, nous avons la loi Lang sur le prix unique du Livre. Cette loi nous protège, elle permet d’éviter ce qui se passe aux Etats Unis et en Angleterre, où deux librairies disparaissent chaque semaine, et elle maintient notre diversité culturelle (qui devient une exception par la force des choses).
Pour faire simple, chez nous, le prix du livre est le même PARTOUT, que ce soit à la Fnac, dans les librairies de quartiers et sur les sites en ligne de livres neufs. On a le droit de pratiquer une remise de 5% (les fameux 5% systématiques chez Amazon et avec la carte de fidélité payante à la Fnac). Je ne vais pas faire un cours sur la librairie, les charges, les marges, etc., mais vous dire simplement que 5%, ça n’a l’air que d’une poignée de centimes, mais pour un commerce physique avec des marges serrées, ça représente une sacrée perte.
Pourtant, presque toutes les librairies de quartier (la mienne comprise) proposent une carte de fidélité gratuite avec une petite réduction au bout d’un certain nombre d’achats, ainsi qu’un service de commande gratuite dans un délai moyen de 3 jours. On ne peut bien sûr pas rivaliser avec un géant comme Amazon en faisant les 5% systématiques, mais est-ce que cela ne vaut pas la peine de payer deux centimes de plus pour un conseil personnalisé, un beau paquet cadeau gratuit et un magasin en bas de chez soi ouvert le dimanche et les jours fériés ? Et si vous habitez dans un village qui ne dispose pas de librairie, sachez que vous pouvez commander n’importe quel livre depuis une simple presse.
Si on pousse le raisonnement, on peut aussi s’attendre à une volonté de la part d’Amazon de casser le marché pour obtenir le monopole et ensuite pratiquer leurs propres conditions (ce qui est « gratuit » aujourd’hui chez eux ne le sera sans doute pas demain).
J’ajouterai pour finir que j’exerce ce métier depuis 12 ans. J’ai la chance d’avoir une librairie dynamique avec des collègues enthousiastes et des clients curieux qui me font aimer mon travail et oublier Amazon chaque jour un peu plus !

A propos werdna01

Hors des paradigmes anciens et obsolètes, libérer la parole à propos de la domination et de l’avidité dans les domaines de la politique, de la religion, de l’économie, de l’éducation et de la guérison, étant donné que tout cela est devenu commercial. Notre idée est que ces domaines manquent de générosité et de collaboration.
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