Au Gabon, la forêt tropicale couvre 82 % du territoire. Ce patrimoine naturel recèle des ressources inestimables, mais il est en danger. Principales menaces ? Les trafiquants de bois, les orpailleurs et les braconniers. Jeune Afrique Le Monde 23/02/2016
Gabon : la forêt tropicale, un poumon sous pression
Jeune Afrique 17/02/2016
Avec ses 22 millions d’hectares de forêt tropicale, le pays dispose d’une biodiversité unique et de ressources inestimables. Comment les exploiter sans les épuiser ?
Il suffit de survoler le Gabon pour comprendre ce qui forge son identité : l’immense étendue de forêt, qui couvre plus de 80 % de son territoire. Un patrimoine naturel très convoité, tant il recèle de richesses encore inexploitées. Des ressources exceptionnelles que le Gabon a voulu sanctuariser. En 2002, Omar Bongo Ondimba mettait sous cloche 11 % du territoire, en créant treize parcs nationaux. Cinq ans plus tard, l’Agence nationale des parcs nationaux (ANPN) était née pour veiller à leur sauvegarde. Camouflés dans leurs treillis, quelque 600 hommes sillonnent ces 2,94 millions d’hectares de forêt tropicale protégée, à la recherche des trafiquants de bois, des orpailleurs et des braconniers. Une surveillance récemment renforcée par un gigantesque satellite mis en place sous l’égide de l’Ageos (Agence gabonaise d’études et d’observations spatiales).
L’exploitation illégale de ressources forestières, toujours d’actualité
Car sous l’épais manteau vert, l’exploitation illégale des ressources forestières se poursuit. « Il y a deux mois, plusieurs personnes ont été arrêtées pour sciage illégal de bois », explique Francis, écogarde du parc de Pongara, au large de Libreville. Mais ils ont été relâchés, « certainement parce qu’ils connaissaient quelqu’un », lâche le trentenaire.
Même constat amer chez les écogardes du parc d’Akanda, au nord de la capitale. « Nous avons engagé un bras de fer plutôt musclé avec un exploitant forestier : il avait un permis franchement étrange du ministère de la Protection de l’environnement et des Ressources naturelles, de la Forêt et de la Mer. Il a fini par partir, mais il a eu le temps de saccager plusieurs hectares », regrettent les gardes. Car un autre fléau menace la forêt gabonaise : la corruption, que l’État tente tant bien que mal d’endiguer. Les fonctionnaires du ministère de la Forêt en gardent d’ailleurs un souvenir cuisant. Fin novembre, des escouades de la Direction générale des recherches ont embarqué une quinzaine de hauts fonctionnaires pour trafic de bois précieux. L’ancien ministre, Nelson Messone, a lui-même été entendu, avant d’être relâché. « C’était comme dans les films : ils sont venus armés, ils ont perquisitionné tous les bureaux », raconte un fonctionnaire sous le couvert de l’anonymat. Dans ce climat délétère, les employés du ministère préfèrent garder un profil bas.
L’opération musclée avait été orchestrée en haut lieu. Flore Mistoul, nouvelle ministre de la Forêt, avait reçu des consignes : faire le ménage au plus vite. « Cela démontre les engagements du président en matière de lutte contre la corruption », estime Crépin Ngodock, son ministre délégué. Dans la foulée, Flore Mistoul a lancé un avertissement supplémentaire, décidant de suspendre l’exploitation de kevazingo, un bois atteignant des prix mirobolants sur les marchés asiatiques et donc très prisé des trafiquants.
Le danger de la surexploitation forestière
Des mesures prises pour préserver la forêt, mais aussi pour mieux l’exploiter. Alors qu’il voit fondre ses devises pétrolières, le pays a découvert qu’il était assis sur de l’or vert. Une richesse dont il espère désormais tirer parti afin de diversifier son économie, trop dépendante des cours de l’or noir. En 2010, le Gabon a ainsi décidé d’interdire l’exportation de grumes non transformées (des troncs d’arbres écimés). Il a ainsi mis fin à une activité très critiquée en raison de l’énorme gaspillage de bois qu’elle entraîne et, surtout, il a cessé d’être un pays d’abattage pour créer de l’emploi dans la transformation locale de grumes. La mesure avait alors été saluée.
Mais « en réalité, certaines scieries ont fermé, incapables de financer les investissements nécessaires à la transformation de leur activité. Leurs concessions ont été allouées à de grandes entreprises forestières peu transparentes », nuance Sandra Ratiarison, directrice technique du WWF Gabon.
Depuis, le pays poursuit sa diversification économique, tiraillé entre la défense de sa biodiversité et l’impérieuse nécessité d’atteindre l’émergence. « Le débat est là : comment le Gabon doit-il exploiter sa forêt ? » feint de s’interroger Crépin Ngodock. Car sa réponse est toute trouvée : « Tout le monde souhaiterait que nous la conservions, puisqu’il s’agit du deuxième poumon du monde [après l’Amazonie]. Face à ces inquiétudes, nous avons choisi de l’exploiter durablement, tout en transformant le Gabon en leader africain de l’huile de palme durable. »
Nous devons être vigilants car nous voyons bien qu’avec la fin de l’ère pétrolière la pression sur la forêt s’accroît », s’inquiète Sandra Ratiarison du WWF Gabon