Le métier de démarcheur téléphonique : Je suis celle à qui vous raccrochez au nez quand je dis les mots « Service Clients »

L’Obs Le PLUS – 21-02-2016 Par Mandy Baldini Jeune maman
Mon bac secrétariat en poche, je cherchais du travail lorsqu’une amie m’a parlé d’une entreprise de démarchage téléphonique, chargée de vendre des produits par téléphone pour un opérateur mobile (à la couleur facilement identifiable).

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Les démarcheurs téléphoniques passent une centaine d’appels par jour (J.HARDY/MAXPPP).
Je me suis lancée. J’ai eu une première formation d’une semaine, en « double écoute » : assise à côté d’une employée, ancienne dans la boite, je la regardais faire. J’apprenais ses réflexes, ses réponses toutes prêtes et son comportement au téléphone.
Ensuite, j’ai été autorisée à passer des appels.
Je me mets les gens dans la poche
Un algorithme sélectionne quelqu’un aléatoirement, déjà client ou pas, et l’appelle sur son téléphone fixe ou sur son mobile. Nous, avec notre casque sur la tête, on attend que l’appel nous soit transféré.
Dès que nous avons la personne en ligne, son identité s’affiche sur notre écran, avec une trame à débiter pour nous aider à alimenter la conversation. L’objectif : se la mettre dans la poche.
J’utilise toujours la même rengaine : je me présente directement en tant que conseillère téléphonique, je dis que je souhaite présenter nos offres d’abonnement, etc.
La plupart du temps, la personne au bout du fil est occupée : je dérange, elle me le fait sentir.
Heureusement, certains interlocuteurs ne s’y connaissent pas
racrocher.téléphone« Avez-vous quelques instants à m’accorder ? » En général, ça a déjà raccroché avant que je termine ma phrase. Pour les rares qui me répondent « oui »,  je leur parle de notre box, je leur demande chez quel opérateur mobile ils sont, puis je leur propose des tarifs plus avantageux.
Je les rassure, aussi : je m’occuperai moi-même de la résiliation de leur abonnement actuel, ils n’auront aucune démarche à faire auprès de leur opérateur. Je leur rembourserai même leurs frais de rupture de contrat, à hauteur de 60 euros.
Là où ça se corse, c’est quand vient le moment de choisir un nouveau téléphone pour accompagner le tout nouveau forfait que je viens de leur proposer. Ils veulent immédiatement les smartphones dernier cri, mais ceux-ci sont trop chers. Heureusement, certains n’y connaissent pas grand-chose, et je peux leur faire acheter des téléphones bon marché.
Vient le moment du paiement. Les gens se méfient, mais ils sont déjà allés trop loin : que ce soit par carte ou par chèque, ils finissent par me donner leurs coordonnées bancaires.
Aux insultes, je réponds « merci »
Si j’ai droit à des primes lorsque je fais des ventes, je suis payée au SMIC et j’estime que ce n’est pas assez pour le travail fourni. Car contrairement à ce qu’on peut penser, faire du démarchage téléphonique n’est pas une tâche facile.
On contacte une centaine de personnes par jour, la durée des appels varie selon la campagne : cinq minutes pour de la fidélisation, jusqu’à une demi-heure lorsqu’il s’agit de vente… Il faut savoir gérer des clients très différents sur des offres qui changent d’une campagne à l’autre. Certaines promotions ciblent uniquement les personnes âgées, d’autres les jeunes adultes.
Qu’ils aient 20 ou 80 ans, la plupart de mes interlocuteurs me raccrochent au nez lorsqu’ils entendent les mots « Service Clients ». Il arrive que certains m’insultent. Rares sont ceux qui restent polis et réceptifs
crier-au-telephone--4J’ai déjà vu des collègues péter des câbles et insulter en retour les clients. Très risqué : toutes nos conversations sont enregistrées. En plus, ça fait perdre du temps, et si tu n’as pas le temps d’atteindre tes objectifs, ta prime saute.
Pour ma part, je me contente de répondre « merci » aux insultes, avant de mettre fin à la conversation – si ce n’est pas déjà fait.
Je ne suis pas traumatisée
Malgré ces relations conflictuelles, la pression des supérieurs et l’image négative que véhicule le métier de démarcheur téléphonique, je trouve celui-ci loin d’être horrible : les trois quarts des employés ont la vingtaine, ils viennent d’un peu partout et ont plein de centres d’intérêts différents. Ils font juste ce job pour vivre, quelques temps. L’ambiance est bonne, on se marre bien.
Je pense néanmoins que, pour tenir, il faut avoir un caractère solide et résister à la pression. C’est mon cas, et j’ai bien vécu mes deux années passées là-bas, avant mon congé maternité. Pas sûr, pourtant que j’y remette les pieds. Au-delà de trois ans, psychologiquement, ça devient difficile. Sauf si on n’a pas le choix.
 Propos recueillis par Julia Mourri
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A propos kozett

Deux phénomènes peuvent amener à une manipulation dans la prise en compte des informations par notre conscience : --> Le mirage qui voile et cache la vérité derrière les brumes de la sensiblerie et de la réaction émotionnelle. --> L’illusion qui est une interprétation limitée de la vérité cachée par le brouillard des pensées imposées. Celles-ci apparaissent alors comme plus réelles que la vérité qu’elles voilent, et conditionnent la manière dont est abordé la réalité … A notre époque médiatisée à outrance, notre vigilance est particulièrement requise !
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