L’évasion fiscale à la sauce Ikéa

Le Canard Enchaîné – 17/02/2016 –
Chez Ikea, on monte tout soi-même, y compris un système fiscal aux petits oignons qui a permis au géant suédois du meuble d’échapper  à 1 milliard d’impôts en Europe entre 2009 et 2014, à en croire un rapport rédigé  par les élus Verts du Parlement européen.
T_ksMDdOSXpuY0OAMDAD0Dl72eJkfbmt4t8yenImKBVvK0kTmF0xjctABnaLJIm9La combine est simple comme bonjour : chaque magasin Ikea paie, à titre de redevance, pour avoir le droit d’utiliser le nom et de vendre les produits de la marque, l’équivalent de 3 % de son chiffre d’affaires à une filiale de l’entreprise basée aux Pays-Bas et baptisée Ikea Group. Un montant qui, selon le rapport, représente, par exemple, les deux tiers du bénéfice d’Ikea réalisé en France, et une perte d’impôts de l’ordre de 25 millions d’euros pour le fisc français. Ces redevances atterrissent ensuite dans une fondation au Liechtenstein – Interogo -, où elles ne sont pas imposées.
Ikea proteste de son innocence en affirmant qu’il « paie ses impôts dans le strict respect du droit national et international« . C’est bien ça le problème : un certain nombre de pays européens -Pays-Bas, Luxembourg, Liechtenstein, Irlande, etc. -, offrent de tels avantages fiscaux qu’il est parfaitement possible d’échapper à l’essentiel des impôts en France, en Allemagne, en Grande-Bretagne, etc., en allant se réfugier dans ces paradis fiscaux appartenant à l’Europe, où la libre circulation des capitaux est gravée dans le marbre.
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(Mediapart 24/02/2016 – PIERRE SASSIER)
– Au cours des années, la presse nous a appris que la « déontologie » dont se vante cette entreprise a fait appel au travail de prisonniers est-allemands ou cubains, qu’elle a implanté des taupes  parmi ses salariésqu’elle n’hésite pas à corrompre les policiers venus faire des enquêtes contre les délégués syndicaux . La devise à inscrire sur le fronton des magasins Ikéa pourrait être « flicage, espionnage, esclavagisme » tant est lourd le dossier de presse faisant état des pratiques de cette entreprise.
Pour ses salariés, c’est un univers de pressions et de précarité dénoncé par les syndicats. Ikéa fait régulièrement l’objet de condamnations de prud’hommes, pour travail illicite le dimanche, pour infraction à la législation du temps de travail et même pour discrimination syndicale, sans parler de l’instruction en cours pour espionnage. Depuis 2010, la rénumération globale des salariés a baissé du fait des coupes sombres sur la part variable du salaire.
La lutte contre l’évasion fiscale a bien fait l’objet, en 2015, d’un accord signé par 69 pays et adopté par le G20, sous la houlette de l’OCDE. Celui-ci prévoit, entre autres mesures obligatoires, un encadrement des prix de transfert, mécanisme souvent utilisé pour faire passer les bénéfices dans des pays à fiscalité zéro, la taxation des bénéfices là où ils sont réalisés, la transparence des accords fiscaux entre états au moyen d’échanges automatiques, et l’obligation de déclarer leur activité pays par pays. Mais l’affaire Ikéa rappelle qu’il y a loin de la signature d’un accord – même ratifié par les vingt pays les plus puissants de la planète – à son application. Et une responsable de l’ONG OXFAM décrypte : l’OCDE a vidé la proposition de son contenu : garder ces informations confidentielles rend complètement inopérant l’effet dissuasif du reporting pays par pays, alors même qu’il s’agit d’un de ses objectifs premiers ». On le voit ici, l’évasion fiscale a encore de beaux jours devant elle !
Mais, bien au delà du simple cas d’IKEA, qui n’est pas le seul à se livrer à de telles pratiques  (Apple, Google, Amazon, Uber…), se pose une fois de plus la question de la viabilité d’une Union Européenne qui encourage le dumping social et fiscal de ses membres. La même question s’était posée au début des années 30 aux États-Unis, quand il n’existait pas de politique fiscale commune entre les états : chacun d’eux  essayait d’attirer les investissements des états voisins par une fiscalité plus favorable. C’est cette situation à laquelle a mis fin Roosevelt quand il est arrivé au pouvoir, en établissant un impôt fédéral qui était le même dans tous les états. S’il ne l’avait pas fait, il y a bien longtemps que les États-Unis se seraient désintégrés, comme ce sera le cas de l’Union Européenne si on ne modifie pas les traités pour remettre  un peu d’ordre dans la maison.
Et la commission européenne dans tout ça ? Selon une étude diligentée par le parlement européen, c’est entre 50 et 70 milliards d’euro qui échappent annuellement à l’impôt. Ce qui fait (enfin !) réagir Pierre Moscovici, commissaire européen aux affaires économiques) : « les jours sont comptés pour les entreprises qui réduisent abusivement leurs impôts sur le dos des autres ». […]. C’est de l’argent pris à nos hôpitaux, écoles, transports et tout autre service public vital. C’est inacceptable et nous prenons toutes les mesures qui s’imposent ».
imagesGAKH9EDABelle envolée, monsieur Moscovici, mais vous oubliez plusieurs choses : d’abord, ça ne manque pas de sel d’entendre parler de services publics par un dirigeant d’une Europe qui fait tout pour les détruire. Ensuite, vous oubliez que votre président, Jean-Claude Juncker, est celui-là même qui a fait de son pays un paradis fiscal au cœur de l’Europe. Enfin – et surtout – en matière de fiscalité, c’est la règle de l’unanimité qui prévaut.
 Alors, tant que ce sera ainsi, vos belles et vertueuses envolées, c’est comme la démocratie selon Coluche : « cause toujours » !

A propos werdna01

Hors des paradigmes anciens et obsolètes, libérer la parole à propos de la domination et de l’avidité dans les domaines de la politique, de la religion, de l’économie, de l’éducation et de la guérison, étant donné que tout cela est devenu commercial. Notre idée est que ces domaines manquent de générosité et de collaboration.
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