Partager la richesse : il le faut, on le peut

Siné Mensuel – février 2016 – Pierre Concialdi –

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Peut-on lutter efficacement contre les inégalités malgré les « contraintes économiques » ? Oui, répond sans ambiguïté une des meilleurs spécialiste de l’économie des inégalités. 
Yes, we can ! Ce pourrait-être le sous-titre du récent livre de Tony Atkinson (voir ci-dessous). Cet économiste britannique a été l’un des pionniers de l’analyse des inégalités et ses travaux ont nourri depuis cinquante ans des générations d’économistes insatisfaits de la vulgate simpliste de la théorie standard.
Avec ce livre, Atkinson s’adresse au grand public. Sans céder un pouce de la rigueur qui le caractérise, il développe un large programme de lutte contre les inégalités bien plus radical encore que les propositions du très médiatique Thomas Piketty. il récuse aussi les arguments souvent avancés par les dirigeants politiques pour justifier de leur immobilisme?  Autant de petites pierres jetées dans le marigot où pataugent les socio-libéraux et autres tenants d’une « troisième voie ».
Pour lutter contre les inégalités, Atkinson préconise les retour aux instruments classiques de la redistribution (renforcement de la fiscalité progressive te promotion d’une assurance sociale universelle de haut niveau). Mais il propose aussi d’agir sur les causes, car il ne sert à rien d’écoper un bateau si on continue de percer des trous dans sa coque. Il faut donc d’abord un salaire minimum « qui permette de vivre », ce qui nécessite une augmentation minimale de 20 %. Il faut aussi empêcher les hauts salaires de s’envoler. Ici, pas d’objectif chiffré mais une ferme position de principe.
adamDu côté de l’emploi, l’État « doit adopter un dispositif explicite de prévention et de réduction du chômage », mais aussi « offrir un emploi public garanti au salaire minimum à ceux qui le souhaitent ». On est loin des variations hollandinesques sur la courbe et encore plus loin des stages de formation et autres petits boulots aidé. D’autres mesures visent un meilleur partage du capital, notamment avec un héritage minimum versé à tous à l’âge adulte et la création d’une Autorité d’investissement public afin d’accroître le patrimoine de l’État, à rebours des vagues de privatisation de ces dernière décennies.
L’autre intérêt majeur du livre est de réfuter les arguments avancés par ceux qui doutent du réalisme des mesures proposées. En réduisant les inégalités, ne va-t-on pas réduire les « incitations » et finalement rétrécir le gâteau à partager ? Non, répond Atkinson, il n’y a pas de conflit entre équité et efficacité. Si les modèles économiques standard aboutissent à cette conclusion, c’est parce qu’ils reposent sur une réduction outrancière de la réalité qui néglige les effets positifs de la redistribution. Dans un monde globalisé, un seul pays peut-il se lancer dans ces politiques ? Oui, conclut Atkinson. Les contraintes de la mondialisation laissent au gouvernements une grande liberté de choix. Enfin, avec les déficits publics et les « contraintes budgétaires », avons-nous les moyens de ces politiques ? Pas de problème nous dit l’auteur qui montre que ses mesures ont neutres pour les finances publiques.
On pourra discuter l’intérêt de certaines propositions ou regretter que ce « réformisme radical » n’aille pas assez loin. Mais le message est clair : il n’y a pas de fatalité dans la montée des inégalités, c’est un choix politique. Bref, « les gouvernements frileux n’ont pas d’excuse ». alors, assez de macronneries, place à la politique. Thank you, sir Tony ! 

9782021297119

Traduit par Françoise Chemla, Paul Chemla /  Date de parution 14/01/2016 / Economie humaine
448 pages – 23.00 € TTC
Le succès mondial du dernier livre de Thomas Piketty, qui fut l’élève d’Anthony Atkinson, a remobilisé l’attention sur le fléau que constitue l’explosion des inégalités dans les pays riches. Le diagnostic est désormais bien connu. En revanche, trop peu d’économistes s’attachent à nous expliquer comment inverser la tendance. Et tant d’autres nous désespèrent en ressassant les arguments qui donnent aux gouvernants autant de prétextes pour ne rien faire : l’intervention de l’État affaiblirait l’économie ; la mondialisation rendrait toute action impossible au niveau national ; de nouvelles mesures seraient au-dessus de nos moyens, etc. Atkinson met en pièces ces contre-vérités et propose un programme complet, concret et réalisable, même au niveau d’un seul pays.
Le problème, souligne-t-il, n’est pas seulement que les riches s’enrichissent toujours plus. Nous sommes aussi inopérants dans la lutte contre la pauvreté, car l’économie change vite, et la majorité de la population ne peut pas suivre. Pour réduire l’inégalité, nous devons faire plus que lever de nouveaux impôts sur les riches. Atkinson prescrit donc des politiques innovantes et ambitieuses dans cinq domaines : le changement technologique, la recherche du plein-emploi, la sécurité sociale, le partage du capital et la fiscalité progressive.
Dans ce texte vivant, accessible, Atkinson nous livre une somme incontournable sur le sujet et un message d’espoir dans les possibilités de l’action politique.
Anthony B. Atkinson, professeur d’économie à la London School of Economics, est l’auteur d’une cinquantaine d’ouvrages. Un demi-siècle de travaux innovants sur la répartition des richesses, les inégalités et la pauvreté lui valent une renommée internationale. Il a notamment été président de la Royal Economic Society, de l’European Economic Association et de l’International Economic Association. Il a également été membre du Conseil d’analyse économique en France.

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