Deux-Sèvres – L’interminable chemin des migrants de Melle

La nouvelle République 12/03/2016 05:46

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Sa fuite face à Daesh date de juin 2014. Arrivée en février à Melle, cette famille n’en a pas fini avec son terrible chemin. Rencontre au cœur de ses peurs.
 Ils viennent d’éprouver près de deux ans de fuite du Kurdistan irakien aux Deux-Sèvres. Poser des mots sur ce qu’a été l’enfer des cinq membres de la famille Taha, c’est s’exposer à de très douloureux soubresauts.
Pourtant, ces mots, ils ont dû les répéter maintes fois, à chaque étape, pour être secourus. Lui les écrit, elle tricote pour tuer le temps au « Pays de l’attente », pour reprendre l’expression d’un de leurs proches. Des mots factuels, lourds, implacables pour être entendus des pays, des institutions. A chaque mot, ils revivent l’indicible, ces souvenirs que l’on ne voit pas dans leur long périple qui figure sur cette carte : ces tueries sanguinaires de Daesh à Mossoul qui finissent par arriver à 500 m du paisible village du centre de l’Irak où le couple enseignait à l’école élémentaire ; la fuite dans la petite Honda familiale, le 15 juin 2014.
Ils y ont mis l’essentiel, dans l’auto du désespoir : leurs vies. Leurs économies aussi. « On n’a pas le temps d’être triste, alors on a la volonté de sauver sa peau, on a peur. On sait pourquoi on est un peuple économe… », confie Sabir, le papa, 40 ans.
Libres ? «  Pas encore  »
Sur cette interminable infographie, on n’imagine pas non plus ce qui se passe au fond de son âme quand on débourse 500 $ par tête de pipe, le prix de sa vie pour passer en Turquie, là où on prétendra être Syrien car c’est dangereux d’y être Kurde. Ça sent à chaque seconde la reconduite au pays. Six fois le prix, donc. Le tarif pour Sabir, le papa, Bahar, la maman, les trois garçons Savel (17 ans), Siver (14 ans), Sahan (9 ans) et la petite Lya, 4 ans.

Migrants

Le silence de ce dessin est assourdissant aussi. Il ne laisse rien passer des voix qui brûlent la nuit à bord du canot pneumatique pour traverser la mer Égée. « Nous savions pour les morts en mer. A bord, les enfants pleuraient, les femmes criaient… nous avions si peur », se souvient Sabir.
Enfin, la carte de cette fuite ne sent pas cette sale odeur de brûlé qui les a réveillés tous les cinq, en pleine nuit, dans la jungle dunkerquoise du camp de Grande-Synthe (Nord), quand leur baraquement de fortune a flambé, par deux fois, en plein hiver.
Ils rêvaient de leur El Dorado britannique, pour rejoindre leur neveu qui les a aidés d’Angleterre. Ils se sont finalement résignés. Ils ont accepté l’offre de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFFI) et sont arrivés à Melle, comme deux autres familles, au total seize migrants kurdes irakiens accueillis ici, plus les neuf Iraniens et Irakiens à La Mothe-Saint-Héray le mois dernier aussi. « C’est très dur quand on a quitté son pays qu’on aimait tant de tout redémarrer, une nouvelle vie, de nouvelles lois, de nouvelles personnes. Mais voilà, maintenant notre espoir, c’est la France, un pays où on veut vivre en paix, où les enfants sont scolarisés », ajoute Sabir.
Libres ? « Pas encore », répond-il. Il y a eu le moment magique des photos d’identités. « Nous attendons le 29 mars pour nos relevés d’empreintes digitales, après il y aura le rendez-vous avec l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra), à Poitiers, ça nous fait peur aussi. Après ? On ne sait pas. »
Les enfants sont scolarisés à Melle depuis la semaine dernière. Les réseaux bénévoles mellois sont actifs, des moyens essentiels de subsistance aux cours quotidiens de français. « I’m happy », répond froidement, d’un sourire triste aussi gêné que pudique, Siver, entré au collège la semaine dernière. Il se dit tellement plus de choses dans son silence et dans ses yeux. Mais si peu finalement : tout ce que cette carte de leur parcours ne montrera jamais.
nr.niort@nrco
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« Le maire de Melle est vraiment bon avec nous. Beaucoup de gens sympas nous aident ici à Melle », poursuit Sabit Taha, dans un excellent anglais.
Sans compter les associations caritatives, ils sont une bonne trentaine de Mellois, autour, à aider activement les trois familles kurdes abritées par la collectivité dans les logements sociaux de l’impasse du Feu. Une vraie solidarité dont font partie aussi les professeurs bénévoles de l’association Mot à mot, pour les cours de français.
C’est aussi un grand baptême du feu pour Clément Fouchier, l’assistant social nommé ici pour leur arrivée, qui ne compte pas ses heures depuis qu’il est revenu au pays après sa formation à l’IRTS Poitou-Charentes à Poitiers. « C’est passionnant, explique ce jeune trentenaire. Au début, nous étions vraiment dans un mélange entre humanitaire et accompagnement social classique, avec tout à organiser, de l’accès aux soins aux démarches administratives ou du quotidien. Et puis cela va bien au-delà. Quand j’ai fait ma formation d’historien et d’archéologue, j’ai toujours été attiré par cette culture, alors ils m’apportent énormément. Ils m’apprennent même le kurde ».
Sébastien Acker Deux-Sèvres

A propos kozett

Deux phénomènes peuvent amener à une manipulation dans la prise en compte des informations par notre conscience : --> Le mirage qui voile et cache la vérité derrière les brumes de la sensiblerie et de la réaction émotionnelle. --> L’illusion qui est une interprétation limitée de la vérité cachée par le brouillard des pensées imposées. Celles-ci apparaissent alors comme plus réelles que la vérité qu’elles voilent, et conditionnent la manière dont est abordé la réalité … A notre époque médiatisée à outrance, notre vigilance est particulièrement requise !
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