Promettons l’enfer aux paradis fiscaux

Charlie Hebdo – 23 mars 2016 – Yannick Haenel –

Dans l’Enfer de Dante, les fraudeurs, les trafiquants et les concussionnaires sont trempés dans la poix brûlante du huitième cercle et sont harponnés par les démons. Est-ce que ce sera le châtiment des patrons de la BNP Paribas, de la Société générale, du Crédit agricole, du Crédit mutuel et de la Banque Populaire / Caisse d’Épargne (BPCE) ?

Une étude publiée par les ONG (le CCFD-Terre solidaire, Oxfam et le Secours catholique) révèle en effet qu’en jouant sur les écarts de fiscalité entre les pays, les banques françaises ont réalisé 5 milliards d’euros de bénéfice en 2014, année pour laquelle, et pour la première fois, elles étaient tenues de rendre publiques leurs activités.Cette étude mène ainsi directement au cœur des paradis fiscaux : »A l’international, les banques françaises réalisent un tiers de leurs bénéfices dans les paradis fiscaux, alors même qu’ils ne représentent qu’un quart de leur activité, qu’un cinquième de leurs impôts, et seulement un sixième de leurs employés.« De quoi cette effarante cascade de chiffres est-elle le nom ? Truquage, vol ? Dans ce cas, Dante a prévu pour les banquiers qu’ils seront mordus par des serpents et tomberont en cendres. A moins qu’ils ne soient considérés comme des falsificateurs : ainsi seront-ils couverts de gale et de lèpre.

Mais voilà, on nous apprend qu’il n’y aurait rien d’illégal dans ce traficotage; cette utilisation des paradis fiscaux porterait même un nom : l’optimisation fiscale ! Les banques françaises ont recours à l’opacité qui caractérise ces territoires pour se soustraire à leurs obligations réglementaires; cette opacité couvre une masse de transferts artificiels de bénéfices qui, déclarés dans des pays comme la Belgique ou le Luxembourg,  où le taux d’imposition est très bas, rapportent gros. 

Évasion fiscale ? Pas du tout : stratégie de contournement. L’optimisation fiscale est devenue un business – un « gisement de rentabilité », comme disent les experts. des cabinets de juristes, profitant de la zone grise, vendent leurs services aux banques en élaborant pour elles des montages profitables, toujours à la limite de la légalité. Chez Dante, on appelle ces fiscalistes des « conseillers perfides » pour eux aussi, huitième cercle et souffrance par les flammes. Dans le monde de l’oligarchie intégrée (celui où il n’existe plus d’alternative), les banques ont elles-mêmes des pratiques semblables à celles des multinationales. Le Luxembourg, pays qui a conclu des accords permettant à McDonald’s ou Google d’échapper presque totalement à l’impôt, semble avoir les faveurs de BNP Paribas ou de la Société générale. L’ancien Premier ministre du Luxembourg, Jean-Claude Juncker, n’est-il pas à la tête de la Commission européenne ?  

L’impact de ces détournements est gravissime :  des centaines de milliards d’euros non payés manquent ans les caisses des États. L’étude des ONG est claire : si les banques payaient leurs impôts, les États combleraient leurs déficits budgétaires ! Il y aurait à nouveau de l’argent dans les caisses. La circuiterie mafio-financière continue donc son entreprise de dépouillement en toute impunité. Dante a conçu le dernier cercle de l’enfer, le neuvième – celui qui est au plus proche de la bouche de Lucifer, celui où le mal est le plus concentré -, pour les traîtres. Ils crèvent éternellement dans la glace, leur douleur est sans limites. Soyons cruels, comme disait Nietzsche : affirmons que les banquiers sont des traitres.

Dante Alighieri est un poète, écrivain et homme politique florentin né en 1265 à Florence et mort en 1321 à Ravenne.