Berlin devient la capitale de la révolution végétarienne

Reporterre.net – 11 février 2016 / Violette Bonnebas (Reporterre)
Des saucisses ? Oui, mais de légumes. Des escalopes panées ? Au tofu, alors. À Berlin, les traditions culinaires se sont mises au régime sans viande. La ville vient même d’être élue « capitale mondiale des végétariens » par le magazine états-unien Saveur. C’est promis, aucun animal n’a été maltraité au cours de ce reportage.
Une odeur de friture dans l’air, des mâchoires qui s’activent dans une lumière tamisée, la carte du Schwalbe, restaurant branché de Berlin, annonce une « soirée spéciale hamburger ». Pourtant, aucun steak n’est servi saignant. Dans les assiettes, le bœuf a laissé la place à un mélange de haricots noirs, de soja, de seitan et d’avoine. Pas de fromage non plus : ce soir, c’est dîner végétalien – sans viande mais aussi sans lait, sans œuf ni tout autre produit d’origine animale.
Les mines sont réjouies, en particulier celle de Jan Liedtke, organisateur de ce « vegan pop up ». Depuis quelques mois, il tente, avec ce type d’événements, de populariser le régime 100 % végétal. « Tout le monde aime les hamburgers, ça permet d’amener plus de gens vers le végétalisme, explique-t-il. Il s’agit de montrer que manger végétalien, ce ne sont pas seulement des règles, des interdictions, mais que ça peut aussi être sympa. »
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Un hamburger végétalien.
En cuisine, tandis que son collègue Sebastian prépare les chips de pommes de terre bleues, le chef Pit Réger s’affaire au montage des sandwiches. « On ne cherche pas à faire un ersatz de viande, on invente autre chose. Pareil pour le fromage : ici, vous avez de la margarine agrémentée d’oignons, d’ail et d’épices », détaille-t-il.
Dans la salle, les commandes affluent, Jan Liedtke doit aider au service. Le pari de démocratisation semble réussi : à l’instar de Pauline et Laëtitia, Françaises installées à Berlin, beaucoup sont venus « pour essayer »,par curiosité », « parce qu’un ami en a parlé ». Pour Katarina et Alexander, il s’agit avant tout « d’une question de santé. Manger des produits animaliers, boire du lait de vache, ce n’est pas forcément bon pour le corps ».
« Une conscience politique alternative »
Loin d’une simple mode chez les bobos et les hipsters, le mouvement sans viande, dans ses différentes déclinaisons, est un phénomène de fond, selon Jan Liedtke : « C’est une décision trop personnelle, trop radicale, pour qu’il s’agisse d’une simple tendance », assure-t-il.
Une radicalité qui fait justement partie de la culture de la capitale allemande, confirme Berrin Inci, qui y tient l’un des plus anciens restaurants végétariens, le Café V, ouvert en 1992. « Le végétarisme n’est pas une invention des Berlinois, mais le sujet est pris au sérieux ici, explique-t-elle. C’est une ville où les habitants font des choix en conscience, en l’occurrence à la fois pour des raisons d’éthique animale et de santé. Je pense que l’engagement pour le végétarisme est fortement lié à cette conscience politique alternative. »
Selon la restauratrice, l’ancrage du phénomène à Berlin tient aussi aux habitudes alimentaires de ses nombreux immigrés turcs, grecs, italiens, férus de plats à base de légumes. Courgettes panées, aubergines farcies au blé, fromage de brebis, houmous… la carte du Café V est un concentré de ces influences du régime méditerranéen.
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Le Café V adapte aussi des plats traditionnels allemands, ici une escalope panée de seitan.
Lorsque la tante, turque, de Berrin Inci a ouvert le Café V peu après la chute du Mur, c’était une pionnière. « Au début, les clients ne comprenaient pas que l’on ne serve pas de viande », se souvient sa nièce. Depuis, les mentalités ont changé, aidées en cela par les dérives de l’élevage de masse.
Aujourd’hui, le restaurant familial fait partie des 300 adresses exclusivement végétariennes de Berlin, auxquelles s’ajoutent une trentaine d’enseignes végétaliennes et la cantine d’une université. Des tables gastronomiques à la cuisine de rue, Berlin est devenue « la nouvelle capitale mondiale des végétariens, le principal laboratoire d’avant-garde culinaire » d’Europe, selon le magazine états-unien Saveur.
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Les célèbres kebabs de Berlin n’échappent pas au phénomène.
Les arrière-cuisines de restaurants berlinois n’ont pas l’apanage de la créativité végétalo-végétarienne. Franziska Schauren et Elena Grimm n’ont jamais porté de toque. Il y a encore deux ans, elles étaient travailleuses sociales et organisaient pour leurs amis des barbecues de tofu grillé, accommodé au gré de leurs envies. Elles voulaient « lutter contre l’image fade du tofu », raconte Franziska, et ont tant réussi leur coup que leur entourage les a incitées à en faire leur métier.
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Dîner végétalien au Schwalbe, dans le quartier de Prenzlauer Berg.
Une campagne de financement participatif plus tard, les voilà à la tête d’une « tofurie » bio. Et en à peine un an et demi, les deux amies peuvent déjà se salarier à plein temps. « C’est allé très vite, on ne pensait pas que ça marcherait aussi bien, s’exclame Franziska. Et notre clientèle est très variée, il n’y a pas que des jeunes branchés, loin de là. » Elles écoulent en circuit court quelque deux cents kilos de leurs préparations chaque mois, un chiffre qu’elles espèrent multiplier par cinq en 2016.
Une utopie politico-culinaire
Le marché des protéines végétales est très prometteur outre-Rhin. Huit millions d’Allemands ne se pâment plus devant une saucisse de Francfort, près d’un million d’entre eux se disent complètement végétaliens. On estime que le chiffre d’affaires du secteur des alternatives à la viande a grimpé de 73 % en cinq ans, une grande part incombant à la seule ville de Berlin. C’est notamment là que le premier supermarché 100 % vegan a vu le jour en 2011.
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Les rayons de Veganz, le premier supermarché végétalien au monde.
Au-delà du succès commercial, on assiste bel et bien à Berlin à la concrétisation d’une utopie politico-culinaire. « Éliminer les produits carnés, c’est avant tout une solution à la crise alimentaire mondiale qui ne peut être ignorée », estime Jan Liedtke, avant de retourner prêter main-forte aux serveurs submergés.

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