#NuitDebout : « Et voilà qu’on se parle, qu’on ose dire tous ensemble : ça suffit ! Y en a marre ! »

Le Monde | 04.04.2016 | Par Annick Cojean

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Depuis le 31 mars, le mouvement Nuit Debout s’est installé place de la République à Paris
« C’était comme ça, en 1789. Tout est à réinventer »

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La flamme est intacte, l’espoir immense, et tout parait possible cette nuit aux 200 à 300 jeunes gens encore regroupés place de la République, après trois jours de débats et d’occupation. Il a beau être une heure du matin et une pluie fine a beau jouer les trouble-fête, ils n’ont pas envie de déserter un lieu symbolique qu’ils considèrent désormais comme le leur (« C’est nous qui incarnons les idéaux de la République, en aucun cas les guignols de l’Elysée ou du Parlement »). Encore moins de se quitter. Trop heureux de cette incroyable connivence apparue entre eux depuis plusieurs jours. Et grisés, ce 4 avril, de se découvrir si ardents, si fraternels et si déterminés.
« Quelle merveilleuse surprise ! affirme Augustin qui, comme la plupart des occupants de la place, ne veut pas donner son nom par souci de s’effacer “devant la cause”. On ressentait tous le même malaise, un mal-être inouï devant un système économique absurde, injuste, opprimant et une classe politique totalement déconnectée de nos vies. Et voilà qu’on se reconnaît, qu’on se parle, qu’on ose dire, tous ensemble : ça suffit ! Y’en a marre ! Remettons tout à plat. »
Alors, comme s’ils attendaient ce moment depuis des années, ils se jettent dans les débats. En commissions de toutes sortes. En assemblées générales (certains disent « populaires »). En groupes de parole qui s’égrènent sur la place, assis par terre, armés seulement d’un mégaphone. « N’hésitez pas, personne ne vous jugera même si vous hésitez ou bégayez. Il est si important de s’exprimer. » Ils se lancent donc, les garçons beaucoup plus que les filles. Et ils n’ont pas de mots assez durs pour crier leur défiance envers les politiques, quels qu’ils soient.
Railler les élections. Fustiger le capitalisme. Et rêver tout haut d’un système « qui replacerait l’humain au centre », d’une nouvelle Constitution « sociale et citoyenne », de mœurs différentes. Sur ces derniers points, ils ne sont guère précis ! Le flou est même vertigineux. Mais ils le revendiquent : « C’était comme ça, en 1789. Tout est à réinventer ! » Une banderole au bord de la place proclame : « Nos rêves ne rentrent pas dans vos urnes. »
Un engagement à très long terme
Ce soir, ils ont la tête pleine des expériences de ces trois jours passés. Les concerts improvisés et l’organisation progressive de structures pour tenir la place le plus longtemps possible : accueil, infirmerie, cantine, nettoyage. Les rencontres improbables entre ouvriers, chômeurs, universitaires, migrants. Les discours sur la convergence des luttes de l’économiste Frédéric Lordon, l’un des rares penseurs écoutés par cette foule qui ne veut pas de leader.
La « fraternisation » inattendue, dans la nuit de samedi, avec plusieurs CRS qui, après s’être avancés casqués pour disperser les quelques dizaines d’occupants de la place comme les deux nuits précédentes, ont finalement renoncé et partagé avec eux un café. Et enfin une exquise courtoisie à l’égard de quiconque prend la parole, nombre d’intervenants concluant par un « Je vous aime » adressé au groupe.
Certains ont déjà l’impression que leur vie a pris un nouveau cours. Et qu’ils n’ont plus le droit de se dédire après de si beaux serments. Un engagement à très long terme, disent-ils. En lorgnant vers Podemos (en Espagne) et Syriza (en Grèce) sans être dupes de leurs « compromissions ». Et en se donnant l’objectif de réinventer la démocratie. Pas moins.
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Annick Cojean Journaliste au Monde

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A propos kozett

Deux phénomènes peuvent amener à une manipulation dans la prise en compte des informations par notre conscience : --> Le mirage qui voile et cache la vérité derrière les brumes de la sensiblerie et de la réaction émotionnelle. --> L’illusion qui est une interprétation limitée de la vérité cachée par le brouillard des pensées imposées. Celles-ci apparaissent alors comme plus réelles que la vérité qu’elles voilent, et conditionnent la manière dont est abordé la réalité … A notre époque médiatisée à outrance, notre vigilance est particulièrement requise !
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