Le Canard Enchaîné – 30/03/2016 -Jean-Luc Porquet –
Nos États sont en train de s’accaparer, de vider, d’exploiter la mer, toutes les mers. jusqu’ici, il s’était surtout attaqué à celles qui bordent les côtes. Depuis peu, il s’en prend à la haute mer. Celle-ci n’appartient à personne : 64 % des océans, soit la moitié de la superficie du globe, n’ont pas de propriétaire déclaré. Du coup, chacun y fait ce qu’il veut, premier arrivé, premier servi…
Lundi 28 mars, les 196 pays de la communauté internationale ont entamé, à New York, des négociations visant à aboutir à un accord qui réglemente tout ça. Vu par « Les Echos » (25/3), qui font preuve ici d’une naïveté rafraichissante, cela donne : « Les États enfin sensibles à la protection de la haute mer« . Titre plus réaliste de « La Croix » du même jour : « Les trésors de la haute mer suscitent les convoitises« . Titre ricaneur de l' »L’Humanité » : « La haute mer : un Far West en quête de Shérif« .
Les sulfures minéraux présents dans les fonds océaniques contiennent du cuivre, du fer, du soufre, mais aussi de l’or et de l’argent. – P. Rona/OAR/Nurp
Jusqu’à la fin de siècle dernier, le droit exclusif de pêcher et d’exploiter les ressources minières sur 370 km au large des côtes suffisait largement aux États. Mais la surpêche a fini par tout ratiboiser… Et les progrès techniques ont permis de s’aventurer plus loin, de se lancer dans l’exploration des grands fonds autrefois inaccessibles. Divine surprise ! Au grand large, sous 2,3,5 km d’eau, on a trouvé non seulement des tas de poissons moches et transformables en filets panés, mais aussi des quantités de nodules polymétalliques bourrés de métaux précieux, de formidables gisements de méthane et un réservoir inépuisable de molécules inédites… Là vivent en effet des organismes dont les facultés d’adaptation stupéfient les chercheurs. Exemple donné par Olivier Dufourneaud, de l’Institut océanographique : les éponges fixées sur les récifs coralliens, qui « doivent livrer une guerre chimique sans merci puisqu’elles ne peuvent ni courir ni se cacher de leurs prédateurs« , et dans lesquelles on a trouvé « des molécules utilisées dans les traitements anticancéreux » (« La Croix », 25/3). Du coup, le brevetage du vivant de ces grandes profondeurs va bon train. A eux seuls, États-Unis, Allemagne et Japon concentrent 70 % des brevets.
