« Des personnes au bord du monde » : A Nanterre, le centre médical des SDF, un lieu unique en sursis

LE MONDE | 11.04.2016
Tous les soirs, 257 personnes (hommes et femmes majeurs) amenées par les bus de la Préfecture de police, ceux de la RATP ou ceux du SAMU social des Hauts-de-Seine, y sont hébergées et soignées.

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Le premier car est arrivé à 16 heures et la salle d’attente est pleine. Manteaux et doudounes boutonnés ou zippés, bonnet sur la tête, lestés de sacs en plastique pleins de leurs maigres affaires, une cinquantaine de SDF attendent l’ouverture du guichet du CASH, le centre d’accueil et de soins hospitaliers de Nanterre (Hauts-de-Seine).
Les épaules voûtées, la tête baissée, ces sans-abri malades ont pris le bus puis claudiqué jusqu’à se laisser choir dans un siège en plastique. Certains grignotent des biscuits, d’autres somnolent. Beaucoup sont mal en point. Le docteur Jacques Hassin, celui qu’ils appellent « El doctor », en salue quelques-uns, se penche sur une femme qui secoue la tête désespérément, le visage hagard. Dans une heure, il recevra ses premiers malades. Les autres passeront la nuit dans un lit propre.

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Dans ces locaux vieillots de l’hôpital Max-Fourestier, ce sont les plus exclus, les plus abîmés qui arrivent en trois vagues entre 16 heures et 21 heures, avec leur lot de souffrances et de solitude : « Des personnes au bord du monde », comme les décrit le médecin. Le CASH est le seul havre pour ceux qui ne tiennent plus debout et ont besoin d’un lit médical. On l’appelait autrefois le « dépôt mendicité » et les locaux avaient bien piètre réputation. Il a été depuis rénové – un peu – et les SDF n’y sont plus amenés de force.
La population à la rue à elle aussi changé depuis la création du centre médical en 1984. Ce ne sont plus de grands marginaux qui viennent se faire soigner comme il y a vingt ans. Mais des hommes en majorité, des femmes isolées et, de plus en plus, des vieux. Et le centre de soins doit désormais faire face aux mêmes pathologies que n’importe quel hôpital. « C’en est fini du clochard avec sa jambe pleine de plaies pourries et de vers. On a des malades beaucoup moins abîmés physiquement mais avec des cancers, ou des psychotiques dépendants de l’alcool ou du cannabis. Et surtout des gens plus vieux avec les maladies de tout le monde », explique un responsable du Pôle d’accueil et d’orientation.
Plus aucune protection sociale
« Etre dans la rue laisse une trace indélébile et même après vingt ans, je ne sais pas à quel point c’est dur », souligne le docteur Hassin, qui a voulu construire un lieu où « on lie le sanitaire et le social ». Ici, les sans-abri trouvent à la fois un repas chaud, une douche, un lit et des soins médicaux. Tous les soirs, 257 personnes (hommes et femmes majeurs) amenées par les bus de la Préfecture de police, ceux de la RATP ou ceux du SAMU social des Hauts-de-Seine, y sont hébergées et soignées.
Ici, en plus de l’abri pour la nuit, ces personnes démunies vont trouver un peu de chaleur et de l’attention. Seule obligation, décliner une identité et laisser ses bagages à l’entrée. Beaucoup s’inventent une identité pour ne pas laisser de trace. Les personnels voient ainsi revenir une « Claudia Chiffon », un « Monsieur Marshmallow » et plusieurs « Nicolas Sarkozy ». Ceux-là n’ont plus aucune protection sociale.
Dans le couloir de l’aile médicale, une affiche explique en mots simples les ravages de la consommation d’alcool. Une autre décrit le fonctionnement des poumons. Avec leur revêtement en skaï bleu, les meubles médicaux semblent dater des années 1970. Les SDF sont déjà plusieurs à attendre avec leur kit à la main : à l’entrée on leur a remis un drap, une serviette, un gant présavonné, du shampooing et de la mousse avec un rasoir. Ils avaient droit auparavant à une brosse à dent et du dentifrice, mais c’est fini depuis que Colgate a arrêté ses dons. Et le budget du centre ne permet pas d’aller au-delà du kit sommaire.
Car le centre d’accueil et de soins hospitaliers, présidé par le préfet de police, est en déficit chronique. Comme pour de nombreux autres établissements, le renouvellement de son autorisation est décidé après évaluation de ses activités : en clair, son devenir n’est pas garanti. C’est pourtant le seul lieu réservé aux SDF qui allie le sanitaire et le social. La direction de l’Agence régionale de santé (ARS) assure soutenir la structure, consciente qu’avec le vieillissement de la population à la rue, sa pérennité est indispensable. « On réfléchit à son avenir en le liant à l’hôpital Louis-Mourier pour retrouver un équilibre, explique-t-on à l’ARS. Mais il va falloir ouvrir d’autres structures dans Paris intra-muros ».
Dans une des salles de soins, un grand barbu aux longs cheveux gris qui ne lâche pas sa guitare explique que ses pieds lui « brûlent très fort » : une mycose qui dégénère, diagnostique l’infirmière.
« Il y a vingt ans, ils seraient déjà morts »
Keleme (les prénoms ont été changés), une Ethiopienne de 47 ans, attend son tour. Elle vient là tous les jours depuis la mi-janvier. « La rue, c’est très dur pour une femme… », souffle-t-elle dans un pauvre sourire, en expliquant souffrir d’une neuropharyngite. « Les gens du SAMU social m’ont dit de venir ici parce que j’avais si mal à la tête. Mais faut batailler pour monter dans le bus, faire la queue pour avoir un lit. Mais heureusement que ça existe, c’est gratuit », raconte-t-elle.
Un autre monsieur plus âgé qui traîne sa jambe sur le côté, un diabète mal soigné, vient prendre son traitement gardé par le médecin dans un pilulier bleu : à la rue, ce n’est pas facile de se souvenir du moment où avaler ses comprimés, explique l’aide soignante.
De l’autre côté de la cour, l’unité de soins hospitaliers héberge les plus abîmés, ceux qui ne peuvent plus reprendre le bus le matin. « La plupart restent le temps d’être remis sur pied. Et on en a deux ou trois qui ne repartent plus. Ils sont trop vieux », relate Aida, une aide-soignante. Des têtes passent derrière les rideaux, guettent le médecin. D’autres corps un peu plus valides déambulent avec leur perfusion. Il y a là des cancéreux, des patients souffrant de pathologies cardiaques mal traitées, de complications de maladies chroniques. « Il y a vingt ans, ils seraient déjà morts », constate le docteur Hassin.
Daniel a appris qu’il va devoir laisser son lit demain matin. Blessé après avoir été renversé par un vélo, il est dit guéri depuis deux jours. Cet ancien électromécanicien qui travaillait pour un sous-traitant des centrales EDF du côté de Chinon, est à la rue depuis qu’il a été licencié après un accident du travail. Le quadragénaire a tenté 350 appels au 115 pour trouver un lit pour la nuit, avant d’atterrir à Nanterre. « C’est grâce à eux que je dors », glisse-t-il. Demain matin, après le petit-déjeuner, il retentera sa chance par le bus Porte de la Villette. S’il arrive à monter dedans.
Sylvia Zappi Journaliste au Monde

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Deux phénomènes peuvent amener à une manipulation dans la prise en compte des informations par notre conscience : --> Le mirage qui voile et cache la vérité derrière les brumes de la sensiblerie et de la réaction émotionnelle. --> L’illusion qui est une interprétation limitée de la vérité cachée par le brouillard des pensées imposées. Celles-ci apparaissent alors comme plus réelles que la vérité qu’elles voilent, et conditionnent la manière dont est abordé la réalité … A notre époque médiatisée à outrance, notre vigilance est particulièrement requise !
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