LE MONDE | 11.04.2016 |
Cette clinique, Hakan Bilgin, le responsable de Médecins du monde en Turquie, l’a autant imaginée pour les médecins que pour leurs patients. L’idée s’est imposée à lui le jour où il s’est rendu compte que le laveur de voitures en bas de chez lui était un médecin syrien, tandis que la femme de ménage d’un couple d’amis avait exercé comme neurochirurgienne.
Cartable en main, veste sur le dos, les médecins turcs sortent sur l’avenue Fevzi-Pasa, leur journée terminée. A Fatih, dans le cœur historique d’Istanbul, les magasins abaissent leur rideau. Il est 17 h 30, l’heure où les lumières artificielles réveillent la face noctambule de la mégapole, en ce début du mois de mars.
La clinique de Fatih a rejoint le monde de la nuit. Chaque soir de semaine, depuis le 2 novembre 2015, elle ne ferme plus ses portes. Au 11 de l’avenue, coincés entre des boutiques de mode, des femmes voilées et des hommes au visage fatigué guettent le signal d’entrée. Dès que le panonceau de bienvenue en arabe trône sur le guichet, ils s’engouffrent dans le bâtiment, tandis qu’au loin retentit l’appel du muezzin. Après quelques minutes de chassé-croisé, le lieu, vidé de ses derniers Turcs, peut passer à l’heure syrienne.
Des réfugiés syriens font la queue pour une consultation à la clinique de Fatih, en mars, à Istanbul. Holly Pickett pour Le Monde
Chaque soir, c’est le même ballet. Une équipe de médecins et de cadres syriens prend possession de ce bâtiment moderne jusqu’à 21 h 30. Pendant cette « journée bis », ils offrent à leurs compatriotes réfugiés à Istanbul les services d’une véritable clinique, avec son plateau technique pour les petites interventions, son service d’imagerie, son laboratoire d’analyses et sa pharmacie. Tout est concentré à la même adresse, et absolument gratuit.
Stéthoscope dans le sac et blouse impeccable, prête à être enfilée, c’est au tour de cinq médecins syriens de franchir le seuil de la clinique et de grimper quatre à quatre les deux étages qui les séparent de leur lieu de consultation. Leur journée de travail commence.
« On s’entraide tous les uns les autres… C’est ce que je recherchais. Ceux qui vont en Europe ont une autre mentalité, ils veulent gagner de l’argent »