Non, le « nouveau » TAFTA ne met pas fin aux privilèges des investisseurs étrangers !

AlterEco+ – 20/04/2016 – Natacha Cingotti / Lora Verheecke –
Dans le cadre des négociations avec les États-Unis sur le Tafta (ou Ttip), la Commission européenne propose une nouvelle approche des droits des investisseurs censée les empêcher de remettre en cause les politiques publiques de santé ou d’environnement. Dans les faits, c’est loin d’être le cas.

Sans titre

Manifestation contre le Tafta/Ttip à Madrid en octobre 2015/ Marcos del Mazo / Pacific Press/ZUMA/REA
La Commission européenne s’apprête à entamer un 13e round de négociations avec les Etats-Unis, avec le faible espoir de parvenir à un accord sur un partenariat transatlantique (TAFTA) avant la fin du mandat du président Obama. Une fois encore le chapitre investissement devrait faire l’objet de discussions houleuses. Les droits spéciaux conférés aux investisseurs étrangers à travers le mécanisme de règlement des différends investisseurs-Etats (aussi appelé ISDS) ont cristallisé l’opposition publique au sujet du TAFTA.
Des firmes avec moins de pouvoir ?
Face à un tel tollé, la commissaire européenne au commerce, Cecilia Malmström, a reconnu que « l’ISDS est désormais l’acronyme le plus toxique en Europe ». Au cours de l’automne 2015, ses services ont lancé une soi-disant nouvelle approche sur la protection des investissements – le système juridictionnel des investissements (ICS) – qui devrait s’appliquer à tous les futurs traités commerciaux négociés par l’Union européenne. Un des arguments majeurs en faveur du nouveau système est qu’il garantirait aux gouvernements la marge de manœuvre nécessaire pour légiférer dans l’intérêt public.
Pour la Commission, les entreprises ne pourraient plus contester les politiques environnementales ou de santé
La Commission n’a eu de cesse de répéter que les entreprises ne pourront plus entamer des procédures contre des gouvernements qui appliquent des politiques publiques pour la protection de la santé et de l’environnement – un argument qui a convaincu une large frange de représentants politiques européens. Le député David Martin, porte-parole du groupe social-démocrate au Parlement européen, a félicité la Commission pour un changement de politique majeur et une victoire pour les valeurs progressives : « En résumé, l’ISDS est mort ».
L’environnement et la santé toujours sous le feu des entreprises
Une analyse de fond de la proposition, réalisée par cinq organisations de la société civile, révèle cependant un tout autre tableau. Une nouvelle étude passe au peigne fin cinq des cas d’arbitrage récents les plus controversés; elle révèle que chacune des procédures examinées – qui concernent toutes des mesures de protection de la santé publique et de l’environnement – pourraient être initiées sous le nouveau système. Parmi les exemples figurent notamment le cas de Philip Morris contre l’Uruguay suite à l’introduction d’avertissements sur les paquets de cigarettes ; le cas de Transcanada contre les Etats-Unis suite à l’annonce du rejet de l’oléoduc Keystone XL par le Président Obama par préoccupation pour le changement climatique ; ou encore le cas Lone Pine initié contre le Canada suite à l’extension d’un moratorium de précaution sur la fracturation hydraulique au Québec.      
Les clauses de protection restent trop floues pour empêcher les plaintes des multinationales
La raison pour laquelle de tels cas restent d’actualité avec la nouvelle proposition européenne est que celle-ci est basée sur des clauses de protection, générales et très mal définies, facilement utilisables par les investisseurs. Rien dans le texte n’empêche ni les entreprises de mettre en cause des mesures visant à protéger la santé et l’environnement ni les arbitres de décider en faveur des investisseurs. En réalité, ce sont bien les gouvernements qui devront prouver que les mesures d’intérêt public sont « nécessaires » et répondent à des objectifs « légitimes » face aux attaques des investisseurs – lesquelles seront interprétées par des arbitres avec des obligations éthiques faibles, et non pas des juges publics, comme l’affirme la Commission européenne.
Loin de protéger le droit de légiférer des gouvernements, cette proposition étend les privilèges des investisseurs
Loin de protéger le droit de légiférer des gouvernements, cette proposition ne ferait qu’étendre un peu plus la portée des privilèges dont bénéficient les investisseurs aux dépens d’objectifs d’intérêt public et de l’argent des contribuables. Il est temps pour la Commission européenne d’abandonner sa tentative de relookage et de revoir fondamentalement son approche sur le commerce et l’investissement.
Natacha Cingotti, chargée de campagne commerce, Amis de la Terre Europe et Lora Verheecke, chercheuse et chargée de campagne commerce, Corporate Europe Observatory.

A propos werdna01

Hors des paradigmes anciens et obsolètes, libérer la parole à propos de la domination et de l’avidité dans les domaines de la politique, de la religion, de l’économie, de l’éducation et de la guérison, étant donné que tout cela est devenu commercial. Notre idée est que ces domaines manquent de générosité et de collaboration.
Cet article, publié dans Europe, est tagué , , . Ajoutez ce permalien à vos favoris.
%d blogueurs aiment cette page :