Santé – L’hôpital de Calais, sous-traitant du NHS anglais : Calais au secours du système de santé anglais

Le Monde | 19.04.2016 | correspondance)
Un partenariat a été signé avec la sécurité sociale britannique qui fait face à de longues listes d’attente

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Le patient anglais Timothy Brierley opéré à Calais, et son chirurgien, le 14 avril 2016. CH CALAIS
Lundi 18 avril, le téléphone du centre hospitalier de Calais sonne et résonne. De l’autre côté de la Manche, on veut tout savoir sur cette première qui s’est déroulée vendredi 15 avril, découverte dans les médias : un patient britannique opéré en France, mais dans le cadre du système de santé anglais.
Timothy Brierley, qui habite Lyminge, un village à une quinzaine de kilomètres de Douvres, est venu à Calais se faire opérer de la vésicule biliaire. Hormis les frais de transport, le Britannique n’a rien dû débourser pour son opération. Tout était pris en charge par le National health Service (NHS), l’équivalent britannique de la Sécurité sociale. Un personnel fraîchement formé à l’anglais, une chambre simple avec douche et WC, la possibilité qu’un accompagnant dorme sur place. M. Brierley n’a pas hésité un instant.
L’opération s’est bien passée. « Il va bien, fait-on savoir à l’hôpital. Et au lieu d’attendre dix-huit semaines pour être pris en charge en Angleterre, ici, en trois semaines, c’était plié. » Réduire l’attente de l’opération était sa principale motivation : « Je travaille depuis trente ans, je paie pour le NHS, je ne l’ai jamais utilisé auparavant, et on me dit qu’il n’y a rien de disponible avant juillet, a-t-il expliqué au Guardian. J’ai décidé de trouver une autre solution. »
« Un cautère sur une jambe de bois »
C’est ainsi qu’il a découvert que deux accords franco-britanniques venaient d’être signés entre le NHS et le centre hospitalier de Calais, d’une part, l’Institut Calot de Berck-sur-Mer, d’autre part, spécialisé dans les pathologies orthopédiques et les affections neurologiques. Les deux sont devenus des sous-traitants à part entière du système de santé britannique, facturant les opérations au même prix qu’au Royaume-Uni.
L’hôpital de Calais a été partiellement reconstruit en 2012 et les capacités d’accueil ont été surdimensionnées en prévision d’une augmentation de la population. Pour le centre hospitalier, il s’agit d’une nouvelle source de revenus. Objectif : 400 patients annuels d’ici trois ans. L’ampleur du phénomène reste limitée : sur un budget global de 155 millions d’euros, il s’agit d’atteindre 1 million d’euros de chiffre d’affaires supplémentaire par an.
« Nous voulons développer la chirurgie programmée, précise le directeur général, Martin Trelcat. Loin de moi l’idée de faire concurrence aux hôpitaux britanniques ou d’avoir des bus entiers de patients britanniques. »
L’affaire illustre la crise que traverse le NHS. En ces temps d’austérité, le budget britannique de la santé peine à répondre à la demande croissante due notamment au vieillissement de la population. Si la qualité des soins n’est pas en cause, les listes d’attente en revanche s’allongent dangereusement. Le NHS s’impose comme objectif un temps d’attente maximal de dix-huit semaines pour les opérations : en février, 8 % des patients, soit 260 000 personnes, avaient dépassé ce délai dans l’ensemble de l’Angleterre. C’est une hausse de 30 % par rapport à 2015. Les attentes supérieures à un an, qui avaient presque disparu, reviennent progressivement : près de 700 patients sont actuellement dans ce cas.
« Envoyer les gens à Calais n’est qu’un cautère sur une jambe de bois, s’agace Simon Bolton, représentant d’Unison, un syndicat de la fonction publique. Pour les habitants du Kent, la question ne devrait pas être de choisir entre aller à Londres ou à Calais comme c’était le cas pour ce patient, mais pourquoi les deux principaux hôpitaux près de chez eux sont débordés pour les recevoir. »
Redorer le blason de Calais
Sous-traiter à des hôpitaux de l’autre côté de la Manche n’est pourtant pas une entière nouveauté. Au début des années 1990, après des années de sous-investissement, le NHS souffrait déjà de très longues listes d’attente. Juste avant les élections législatives de 1992, quand John Major cherchait à se faire réélire premier ministre, la question était devenue brûlante. Un budget ad hoc avait été trouvé pour envoyer quelques patients en France.
Mais les relations n’avaient jamais été pérennisées. Et les gros investissements effectués dans le NHS dans les années 2000 par le gouvernement Blair avaient réduit la pression. Jusqu’à l’austérité de ces dernières années. « On a bouclé la boucle », constate M. Bolton.
Cette fois-ci, le contrat de sous-traitance avec les établissements français n’est pas temporaire. Après deux ans de tractations, l’hôpital de Calais a obtenu l’accord de référencement auprès du NHS fin janvier. Ce document lui permet d’être considéré comme un hôpital britannique à part entière, son cahier des charges étant identique à celui des hôpitaux britanniques. « Pour accueillir une patientèle anglaise, rien ne nous obligeait à lancer cette procédure avec le NHS, explique M. Trelcat. Mais cela nous permet de rentrer dans le système de contractualisation du NHS. » Une messagerie sécurisée et cryptée les relie directement au NHS et aux dossiers médicaux des patients.
De quoi attirer la patientèle anglaise mais aussi redorer le blason de la ville. « C’est très intéressant pour l’image de Calais écornée par la grève de My Ferry Link et le dossier des migrants, remarque Thaddée Segard, directeur de Frenchdeals, l’entreprise de relations transmanche mandatée par l’hôpital de Calais pour ce partenariat avec le NHS. Il y a eu un “Calais bashing qu’on est en train de renverser. » Le directeur de l’hôpital confirme : après avoir pris en charge de nombreux migrants en 2015 (environ 5 % des séjours), notamment au service orthopédique, il a constaté une relative désaffection de la patientèle habituelle qui ne souhaitait pas être en contact direct avec les réfugiés.
Laurie Moniez (Lille, correspondance) Journaliste au Monde
Eric Albert (Londres, correspondance) Journaliste au Monde

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Deux phénomènes peuvent amener à une manipulation dans la prise en compte des informations par notre conscience : --> Le mirage qui voile et cache la vérité derrière les brumes de la sensiblerie et de la réaction émotionnelle. --> L’illusion qui est une interprétation limitée de la vérité cachée par le brouillard des pensées imposées. Celles-ci apparaissent alors comme plus réelles que la vérité qu’elles voilent, et conditionnent la manière dont est abordé la réalité … A notre époque médiatisée à outrance, notre vigilance est particulièrement requise !
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