Le Monde | 26.04.2016
« En mai 2015, j’ai brusquement perdu la vision de mon œil droit, comme si un voile noir s’était posé dessus, raconte M. Nimhauser, âgé de 77 ans. C’était très différent de mes migraines ophtalmiques, et je me suis affolé. Ma vision est redevenue normale après quelques minutes, mais j’ai appelé le 15. » On lui propose de l’emmener à l’hôpital – ce qu’il refuse.
Le lendemain, il consulte son médecin traitant, qui ne trouve rien. Le surlendemain, son ophtalmologue réalise un examen Doppler de l’artère du cou (carotide). Verdict : une plaque de graisse l’obstrue à 60 %. Cet homme est alors orienté en urgence vers le service de neurologie du professeur Pierre Amarenco, à l’hôpital Bichat (AP-HP, Paris).
Là, M. Nimhauser bénéficie d’une IRM cérébrale, qui révèle un « point blanc » : la preuve d’une microlésion du tissu cérébral, qui résulte d’une privation d’oxygène. Après trois ou quatre jours sous observation constante, il est opéré de la carotide : le chirurgien enlève la plaque de graisse qui menace à tout instant de se rompre, bloquant l’irrigation du cerveau. En sus, un double traitement préventif lui sera prescrit, à base d’anticoagulant et de statine.
Nimhauser l’a échappé belle. Car la perte de vision qu’il a subie, aussi soudaine que brève et réversible, est un des signes d’alerte de la survenue imminente d’une attaque cérébrale. C’est « la fumée précédant l’éruption prochaine d’un volcan : l’accident vasculaire cérébral, dit Pierre Amarenco. Le risque est maximal au cours de la première semaine. » Environ un accident cérébral vasculaire (AVC) sur quatre est précédé d’un de ces signes, ou « accident ischémique transitoire » (AIT).
Quels sont les signes ?
La prise en charge très précoce de ces alertes diminue de moitié la survenue ultérieure d’un AVC, révèle une étude internationale coordonnée par Pierre Amarenco, publiée le 21 avril dans le New England Journal of Medicine.
Quels sont ces signes, qui restent méconnus ? Ce sont ceux d’un AVC, survenant toujours brutalement ; mais ils sont brefs et réversibles, contrairement à ceux des AVC. L’AIT se manifeste par une faiblesse, une paralysie ou une perte de sensibilité d’un membre ou de la face. Ce peut être aussi un trouble de l’équilibre ou de la parole (une incapacité soudaine à prononcer ou à trouver les mots, une difficulté d’articulation). Ce peut être enfin une perte de la vue d’un œil ou des deux yeux, comme pour M. Nimhauser.
Lorsqu’il s’agit de ces AIT, le patient récupère très vite. Cette fugacité des troubles, leur réversibilité rassurent souvent – à tort. Car, dans 12 % à 20 % des cas, l’AIT est suivi d’un AVC dans les trois mois. Telles étaient du moins les statistiques au début des années 2000, avant la mise en place, en 2003, à Bichat, d’une première « clinique SOS-AIT ». « Il s’agissait d’offrir une réponse à un besoin de santé publique, explique Pierre Amarenco. Jusqu’alors, quand les patients faisaient un AIT, ils étaient dirigés vers les urgences de l’hôpital. Mais, comme leurs symptômes avaient disparu, ils étaient renvoyés chez eux, puis adressés à leur médecin traitant. Les examens prescrits étaient réalisés dans les quinze jours suivants. Entre-temps, bien des patients faisaient un AVC. »
Intérêt global d’une prise en charge ultrarapide
Dans une clinique SOS-AIT, ils bénéficient d’une prise en charge immédiate. Le défi : réaliser en moins de trois heures tous les examens nécessaires. A l’issue de ce bilan, 70 % à 75 % des malades rentrent chez eux avec une ordonnance de traitement préventif ; 25 % à 30 % sont hospitalisés pour un traitement immédiat. Dès 2007, l’équipe de Pierre Amarenco montrait qu’une prise en charge ultra-précoce des AIT réduit de 80 % le risque d’AVC ultérieur. La même année, ces résultats étaient corroborés par l’équipe anglaise de Peter Rothwell, de l’université d’Oxford (Royaume-Uni).
L’étude publiée le 21 avril avait un objectif plus ambitieux : montrer l’intérêt global d’une prise en charge ultrarapide des AIT. Du moins, dans les soixante-et-une cliniques participant à cette étude, dans vingt-et-un pays (Argentine, Chine, République tchèque, France, Allemagne, Inde, Italie, Japon, Portugal, Slovaquie, Espagne, Royaume-Uni, Taïwan…). Au total, 4 789 patients ayant fait un AIT ont été inclus. Près de 80 % ont bénéficié d’une prise en charge dans les vingt-quatre heures suivant leurs symptômes. Et leur risque d’AVC a chuté à 6,2 %, un an après l’AIT. Soit un risque diminué de plus de moitié par rapport à une prise en charge standard. « Ces résultats plaident en faveur de la mise en place d’unités spécialisées dans la prise en charge rapide des AIT ou des AVC mineurs (…), de façon à réduire la survenue d’un AVC ultérieur », résument, dans un éditorial, Ralph Sacco et Tatjana Rundek, de l’université de Miami.
« C’est toujours mieux de traiter un patient ayant fait un AIT, souvent en ambulatoire, plutôt que de prendre en charge les séquelles d’un AVC, imposant une hospitalisation lourde durant des années » professeur Joseph Emmerich unité de médecine cardio-vasculaire de l’Hôtel-Dieu (Paris)