Le Canard Enchaîné – 27/04/2016 – Odile Benyahia-Kouider et Hervé Liffran –
Criblée de dettes, plombée par l’EPR qui ne marche toujours pas et par la ruineuse rénovation des vieux réacteurs, EDF devient un problème politique.
Emmanuel Macron s’est livré à un spectaculaire rétropédalage. Le 17 avril à la BBC, le ministre de l’Économie assurait aux Anglais, en mal d’électricité, qu’EDF allait « signer, dans la semaine à venir au plus tard »,l’accord pour la construction des deux réacteurs nucléaires EPR à Hinkley Point. Une semaine après, le même Macron annonçait au « JDD » (24/4) que « la décision finale pourrait être confirmée en septembre prochain ». Il est devenu urgent d’attendre…
Ce report n’arrange pas les affaires du pédégé d’EDF, Jean-Bernard Lévy, qui voit s’accumuler les perspectives de surtension ou de courts-jus… Pour commencer, nul ne sait ce qui se passera après le referendum du 23 juin si le Brexit l’emporte et entraîne la chute de David Cameron. Notre électricien en chef redoute, comme il l’a redit lors du conseil d’administration du 22 avril, que les Britanniques finissent par renoncer à ce gigantesque contrat et se tournent vers d’autres fournisseurs, américains, russes, chinois ou coréens.
La dette de l’emploi
Au-delà des risques sociaux et commerciaux,EDF était surtout guetté par un krach financier. « Les agences de notation avaient menacé de dégrader notre note, décrypte une source interne, ce qui aurait eu pour effet mécanique de faire exploser notre dette de manière insoutenable. Elle serait ainsi passée de 37 à 47 milliards d’euros. Une paille ! L’État actionnaire a été obligé de jouer les pompiers et de remettre plus d e6 milliards dans la machine, dont la moitié en cash. Ce rafistolage suffira-t-il à convaincre les administrateurs, notamment salariés, de valider le projet Hinkley Point ? Pas sûr. Ils savent qu’aucun EPR n’est encore entré en service et que cette machine pourrait connaître le sort du Concorde le crash commercial… Même avec 85 % du capital, l’État actionnaire pourrait se retrouver en minorité ! Du jamais vu.
Il faut dire que ce super-réacteur , dans lequel le tandem EDF-Areva plaçait tous ses espoirs, ne suscite plus guère l’enthousiasme. Le chantier finlandais est un désastre, celui de Flamanville un calvaire. Avec une lourde hypothèse : l’état de la cuve, pièce maîtresse, dont l’acier, selon les analyses de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN), n’est pas conforme aux prescriptions. EDF se dit « confiant« . Mais l’Agence des participations de l’État (APE) semble l’être un peu moins, puisqu’elle s’est donné la peine de chiffrer le coût d’un changement de cuve : au minimum un demi-milliard d’euros…
Rénovation, piège à cons
Les savants calculs du gouvernement et de la direction d’EDF risquent également de se fracasser sur la facture de rénovation des 34 réacteurs nucléaires les plus anciens (sur un total de 58). Entrées en service entre 1977 et 1987, ces installations vieillissantes ont besoin de lourds travaux de mise aux normes post-Fukushima pour que l’Autorité de sûreté accepte de prolonger de quarante à cinquante ans la durée de leur exploitation. L’électricien a déjà prévu d’investir environ 1,3 milliard pour chaque réacteur ! Mais, comme l’a souligné la Cour des comptes en février, cette somme pourrait être insuffisante. et pour cause : l’étendue exacte des travaux à mener reste inconnue.
Le remplacement de coûteux générateurs de vapeur a déjà été engagé. Mais l’inventaire des autres chantiers indispensables n’est pas terminé. Dans une lettre datée du 20 avril, le président de l’ASN, Pierre-Frank Chevet, explique à son homologue d’EDF, Jean-Bernard Lévy, qu’il est indispensable de « compléter » les études en cours pour obtenir l’autorisation de prolongation. S’ensuit une liste interminable de 78 « demandes » très techniques.
En fonction des réponses apportées, le gendarme du nucléaire pourra exiger de lourds travaux supplémentaires, encore impossibles à chiffrer. L’ASN s’alarme particulièrement de l’état des piscines où sont entreposées les barres de combustible nucléaire en phase de refroidissement. Elle doute de la solidité de l’assise en béton (le radier) sur lquel reposent les bâtiments réacteurs. Elle cible également des pièces stratégiques comme le « tube de transfert« , un gros tuyau qui permet d’évacuer le combustible à expédier vers La Hague. L’échange standard de cet équipement serait aussi périlleux que coûteux.
Dans les cas les plus extrêmes, certains réacteurs pourraient même être déclarés bons pour la casse. Principalement en cas de résultats négatifs de tests de vieillissement menés sur la cuve et l’enceinte de confinement en béton, deux éléments qu’il est impossible de rénover.
Un petit coup de peinture verte ça ne suffit pas ?
200 millions en fumée
les opérations de rénovation ne sont pas sans risque et peuvent parfois virer à la catastrophe, y compris financière. Par exemple, en juillet 2015, un incendie s’est déclaré dans la salle des machines du réacteur 2 de la centrale de Paluel (Seine-Maritime). Le feu a détruit un condensateur, équipement (non nucléaire) sophistiqué qui vaut près de 200 millions d’euros.
Sept mois pus tard, toujours sur le réacteur 2, les manœuvres de remplacement du générateur de vapeur ont tourné au désastre. Ce monstre de 22 mètres de hauteur et de 465 tonnes d’acier a lourdement chuté sur le sol. Cet accident (qui, coup de bol, n’a irradié personne) était déclaré « impossible » par EDF. Il s’est pourtant bel et bien produit. « Tout le bâtiment a été ébranlé par le choc, s’alarme un expert. Il va falloir tout vérifier et peut-être remplacer certaines pièces. Il y en a pour un an de travail. » Avec une nouvelle – et copieuse – facture à la clé…