Un Tchernobyl économique menace le nucléaire français

Le Canard Enchaîné – 25/05/2016 – Odile Benyahia-Kouider & Hervé Liffran –
Des malfaçons affectent deux réacteurs en service. Et les risques financiers poussent comme des champignons atomiques…
Une note interne et confidentielle d’Areva met à mal les lénifiantes déclarations officielles sur les possibles malfaçons de nombreuses pièces des centrales nucléaires fabriquées par Creusot Forge. Les patrons d’EDF avaient affirmé, le 12 mai devant leurs actionnaires, que « les analyses n’[avaient] mis à jour aucun défaut nécessitant de mettre à l’arrêt une centrale française« . Neuf jours auparavant, la ministre de l’Écologie, Ségolène Royal, avait déjà cru bon de claironner que les « premiers résultats des tests [étaient] bons« …
Ce n’est pas vraiment le cas. Rédigé au début du mois de mai, un document tombé dans le bec du « Canard«  révèlent qu’au moins deux équipements nucléaires présentent des défauts « pouvant avoir un impact sur la sûreté« . En l’occurrence, deux composants de générateur de vapeur installés dans les réacteurs n°2 des centrales du Bugey (Ain) et de Gravelines (Nord).
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Centrale nucléaire de Gravelines
La solidité de ces engins est vitale, car ils sont alimentés par l’eau radioactive qui circule sous haute pression dans le cœur du réacteur nucléaire. Pourtant, l’acier de la calotte inférieure du générateur de Gravelines 2 (le « fond elliptique FE00″1) n’affiche pas la résistance requise. Un test, dont les résultats ont été ignorés jusqu’à présent, a montré qu’elle étaient inférieure de près de 50 % aux normes en vigueur. Une paille ! Et, à Bugey 2, c’est l’acier d’une partie du corps du générateur (la « virole médiane VI/002 ») qui apparaît vulnérable aux changements brutaux de température !
Areva a transmis, le 19 mai, ses premières conclusions à l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN). Les services de presse d’Areva et d’EDF, qui ne contestent pas le document du « Canard », n’en persistent pas moins dans leurs discours rassurants. Ils déclarent en cœur qu' »aucun impact sur le sûreté n’a été détecté « à partir des « éléments et analyses disponibles à cette date ». Et on est prié de les croire sur parole. Des études complémentaires devraient bientôt être lancées par l’ASN, à qui il reviendra de décider des suites à donner. Malgré ses dénégations, EDF pourrait être contraint de mettre à l’arrêt les installations concernées et de changer les générateurs de vapeur non conformes. Une opération lourde et très coûteuse. Et pas toujours couronnée de succès, comme en témoigne la chute, le 31 mars, d’un générateur de vapeur à la centrale de Paluel (Seine-Maritime).

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Déjà peu bavard sur les dégâts causés en France, Areva fait preuve d’un mutisme total sur les conséquences possibles sur ses clients étrangers. Pourtant, la Chine et les États-Unis font partie des pays équipés de pièces usinées par sa filiale Creusot Forge. Et la preuve de malfaçons déclencherait une catastrophe… nucléaire pour l’ancien fleuron de l’industrie atomique. Plusieurs entreprises françaises ont déjà pu tester l’esprit procédurier des américains. L’affaire Executive Life (du nom de cet assureur racheté indûment par le Crédit Lyonnais) a coûté 771millions de dollars à l’État français. Et BNP Paribas a dû payer une amende record de 8,9 milliards de dollars en 2014 pour avoir violé l’embargo sur l’Iran. Et pour une centrale fissurée, c’est combien de milliards ?
Supplice chinois
imagesTZ5EP32SLes chinois pourraient, eux aussi, entrer dans la danse. Non seulement pour demander des indemnités, en cas de pièces non conformes livrées naguère pas Areva, mais aussi pour ouvrir un nouveau front : déjà installés, les générateurs de vapeur des deux EPR en construction à Taishan sortent également des ateliers du Creusot Forge. Pour corser encore l’addition, l’avenir de l’EPR français de Flamanville n’est toujours pas assuré, puisque de graves soupçons pèsent sur la qualité de la cuve du réacteur. Le verdict de l’ASN est attendu pour l’an prochain. Si elle décidait que la cuve est bonne pour la poubelle, cette plaisanterie pourrait coûter plusieurs milliards de plus à Areva. Enfin, le dossier de l’EPR finlandais (dix ans de retard et 5 milliards de surcoût) n’est toujours pas soldé.
Dominos piégés
Un telle avalanche de catastrophe déclencherait un effrayant jeu de dominos. Avec des conséquences incalculables pour le Mecano industriel imaginé par Bercy. Fin janvier, EDF avait accepté, à la demande pressante de l’État, de reprendre Areva NP, la filiale « réacteurs » du groupe nucléaire pour 2,5 milliards d’euros. Mais, si les comptes de cette boîte se trouvaient plombés par de nouveaux contentieux, EDF, dont les finances sont déjà fragilisées, pourrait être incapable de suivre sans de nouvelles aides massives de l’État.
Pour sauver les meubles, le gouvernement en est réduit à envisager une solution d’ultime recours : créer une structure de « défaisance », à l’instar du Consortium de réalisation (CDR) chargé en son temps de solder les actifs pourris du Crédit Lyonnais. Et de demander aux contribuables d’éponger les frais…

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