Analyse – Bloquer les quotidiens est scandaleux : Affaiblir la presse, c’est ce que veut la CGT ?

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L’obs Le PLUS  26-05-2016 par François Jost. Analyste des médias// // // // //
LE PLUS. « L’Humanité » est le seul quotidien national à avoir pu sortir en kiosques ce jeudi. Et pour cause, c’est le seul journal à avoir accepté de publier la tribune de Philippe Martinez, chef de file de la CGT. Une décision qui a suscité l’ire de ses concurrents. Bloquer la circulation des idées, en voilà une belle idée de la démocratie, s’indigne François Jost.

Secretary-general of the General Confederation of Labour (CGT) French worker's union Philippe Martinez holds is pictured during a demonstration after the French government bypassed parliament and forced through a controversial labour reform bill, in Paris, France - 17/05/2016//JOLYLEWIS_LewisJOLY_17-05-16_17/Credit:LEWIS JOLY/SIPA/1605172201

Philippe Martinez, secrétaire général de la CGT, lors d’une manifestation contre la loi Travail en mai 2016 à Paris. (L.JOLY/SIPA
Jusqu’à présent, le blocage qu’exerçait la CGT ne visait que des lieux physiques (raffinerie, centrales électriques). Cette nuit, le syndicat a franchi un nouveau pas en s’en prenant directement à la liberté de circulation des idées : les quotidiens qui ont refusé de publier le communiqué de Philippe Martinez se sont tout simplement vus interdits de paraître.
 Les rêves obsolètes de « dictature du prolétariat »
 Le fait est inédit dans une démocratie comme la France et il est difficile de contester que, comme a réagi le Syndicat de la presse quotidienne, « nos journaux sont pris en otages ».
 Laurent Joffrin ajoutait ce matin sur France inter (dans « L’Instant M » sur France Inter) que cette action faisait furieusement penser à la chanson des Beatles « Back in USSR ». Que, de surcroît, seule « l’Humanité » ait cédé à ce chantage renforce fâcheusement l’impression d’un retour en arrière, où seules les informations véhiculées par la « Pravda » (qui signifie en russe « vérité ») auraient droit de cité. Car l’effet de cette non-parution est bien de censurer toute nouvelle du monde autre que celles qui concernent le microcosme des luttes contre la loi travail.
 Cet acte fleure bon ces rêves obsolètes de « dictature du prolétariat » d’un Parti communiste stalinien. On a l’impression que la CGT est restée quelques décennies en arrière.
 La colère ne doit pas menacer la liberté d’expression
 Comme d’habitude, dans les cas où une violence physique ou intellectuelle s’exerce, son auteur la justifie par la violence de celui qu’il combat.
 D’aucuns ont justifié la tentative d’homicide volontaire contre des policiers et l’incendie de leur voiture par la violence de la loi Travail. Aujourd’hui, Didier Lourdez, secrétaire général du Syndicat du livre CGT a utilisé le même argument (toujours dans « l’Instant M »). La censure exercée sur les journaux, terme que le responsable syndical rejette évidemment, serait une réponse juste à « un gouvernement qui impose des reculs soucieux successifs » (texte du communiqué).
 En cette période de bac, on doit se demander si la violence peut être légitime (c’est un sujet qui tombe souvent). Quant à moi, j’en doute. Je peux admettre que la colère engendre des gestes excessifs, mais pas la remise en cause froidement décidée de la liberté d’expression.
 Une action qui affaiblit les journaux papiers
 Il est assez gênant de ce point de vue d’entendre un responsable syndical se victimiser à la façon du Front national ces dernières années. À en croire Didier Lourdez, ce chantage exercé sur les quotidiens serait motivé par le fait que la CGT ne peut pas s’exprimer dans les médias ! Comment peut-il tenter de le faire croire à des auditeurs-spectateurs qui l’entendent à tout bout de champ à la radio ou à la télévision ?
 Si l’on met en regard de cette action scandaleuse le fait que de nombreuses permanences du PS ont été attaquées, certaines à balles réelles, on est en droit de s’inquiéter. Depuis quelques années maintenant, il est très difficile d’exprimer une opinion ou une pensée sur internet sans être lynché si elle déplaît à quelques-uns. Je ne dis pas que les réseaux sociaux sont responsables de la violence contre la liberté d’expression qui se banalise aujourd’hui, mais ils y participent.
 Il est urgent de redonner à la parole et au débat toute leur place plutôt que d’empêcher ses adversaires de s’exprimer.
 Reste à se demander à qui profite la non-publication des journaux ce matin. À l’évidence, d’abord à internet, où le lecteur ira chercher la version de son quotidien. À un moment où la presse est en danger, tout ce qui montre l’inutilité de la version papier ne peut que lui nuire. On le sait, elle est en crise dans le monde entier.
Affaiblir les journaux dans ce contexte, c’est rendre encore un peu plus précaires les emplois de ceux qui y travaillent. Est-ce vraiment ce que veut la CGT ?
Édité par Louise Pothier  Auteur parrainé par Hélène Decommer

A propos kozett

Deux phénomènes peuvent amener à une manipulation dans la prise en compte des informations par notre conscience : --> Le mirage qui voile et cache la vérité derrière les brumes de la sensiblerie et de la réaction émotionnelle. --> L’illusion qui est une interprétation limitée de la vérité cachée par le brouillard des pensées imposées. Celles-ci apparaissent alors comme plus réelles que la vérité qu’elles voilent, et conditionnent la manière dont est abordé la réalité … A notre époque médiatisée à outrance, notre vigilance est particulièrement requise !
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