Le pouvoir politique s’accapare la police

Lagedefairedecembre-2016L’âge de faire – juin 2016 – Nicolas Bérard –
Les manifestations contre la loi El Khomri ont confirmé une tendance : il est de plus en plus difficile de manifester en évitant l’affrontement avec les forces de l’ordre, et même de manifester tout court.
C’était une proposition faite par le député Pascal Popelin, un proche de Manuel Valls, lorsqu’il était rapporteur de la commission d’enquête parlementaire sur le maintien de l’ordre, créé à la suite de la mort de Rémi Fraisse à Sivens : donner au ministre de l’Intérieur le pouvoir de prononcer des « interdictions[s] individuelle[s] de participer à une manifestation ». C’était il y a un an. Plusieurs associations et élus s’inquiétaient de l’application éventuelle d’une telle proposition. Parmi eux, Noël Mamère expliquait : « Dans la mesure où on individualise les autorisations ou les interdictions, on pratique une sélection qui pet aller bien au-delà de la simple question de sécurité. Cette proposition peut porter atteinte au droit de manifester, à la liberté d’expression et surtout, contribuer à éliminer, au sein des manifestations, des leaders syndicaux ou des opposants politiques. » 

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Interdictions individuelles de manifester
Depuis les attentats du Bataclan et l’instauration de l’état d’urgence, le rêve de Popelin est devenu réalité. Le ministre de l’Intérieur ne s’est pas privé d’utiliser cette possibilité, lors de la Cop21, en prononçant des assignations à résidence pour des militants écologistes. Avaient-ils été condamnés par le passé pour des violences ? Avaient-ils été au moins interpellés ? Rien de tout cela. On entrait ainsi dans une période d’arbitraire, période qui perdure, au regard des décisions gouvernementales prises à l’occasion des manifestations contre la loi El Khomri. Pierre Douillard-Lefevre a ainsi eu la désagréable surprise de trouver, le lundi 16 mai, deux policiers devant sa porte, venus lui remettre une notification administrative. Comme à une cinquantaine d’autres personnes, le ministre de l’Intérieur lui signifiait son interdiction de participer aux prochaines manifestations anti loi El Khomri.
Son crime ? Aucun. Comme pour les assignations à résidence, tout repose sur des « notes blanches », autrement dit des notes secrètes rédigées par les services de la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI). « C’est totalement extra-judiciaire, note Pierre Douillard-Lefevre. C’est la police politique, la DGSI, qui décide de ce qui doit être interdit. » Il suffit ensuite au service de renseignement de transmettre ses volontés au ministre de l’Intérieur pour que ce dernier les valide sans sourciller, au nom de l’antiterrorisme. Le cas de Pierre Douillard-Lefevre est sans doute révélateur. Diplômé d’histoire et de sociologie, il a perdu un œil en 2007 lors d’une manifestation, touché par un tir de Flash-Ball. Et, trois jours avant de recevoir sa notification, il publiait un livre sur les « violences d’État et [la] militarisation de la police » (1). Il va contester son interdiction devant le tribunal administratif. En attendant, il est privé de toute manifestation anti loi Travail, et ce jusqu’à la fin de l’état d’urgence.
Pour ceux qui ont encore la chance d’avoir la liberté de manifester, les choses se sont également compliquées : les affrontements avec les forces de l’ordre sont quasiment systématiques. Mais est-ce que les autorités font le nécessaire pour les éviter ? 

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« Tout est fait pour que cela se passe mal »
« Les casseurs sont repérés en amont de la manifestation, rapporte Alexandre Langlois, secrétaire général de la CGT police. Soit par les services de renseignement, soit par les collègues qui les voient s’équiper sous leurs yeux. Mais aucun ordre n’est donné par la hiérarchie pour demander de les désarmer ou de les disperser. On leur ouvre la porte jusqu’à la manifestation. Et une fois que ces personnes intègrent le cortège, les affrontements sont inévitables. En fait, tout est fait pour que ça se passe mal. »
Et même lorsqu’il n’y a pas d’affrontement, les forces de l’ordre n’hésitent pas à utiliser des grenades lacrymogènes pour disperser la foule. Difficile, dans ces conditions d’aller manifester en famille. Ainsi, depuis des mois, se rendre à une manifestation, c’est s’exposer à des dangers, qu’ils viennent des « casseurs » ou de la police elle-même, qui expérimente même de nouvelles techniques, comme celle de la « nasse ». Celle-ci consiste à isoler puis entourer quelques centaines, voire milliers de manifestants, qui se retrouvent comme pris au piège par leurs propres forces de l’ordre.
police-1-tt-width-604-height-403-crop-0-bgcolor-000000-nozoom_default-1-lazyload-0 A Nantes le 3 mai 2016, lors d’une manifestation étudiante contre la « loi travail » (Stephane Mahe/Reuters
Manifestants dans « la nasse »
« Leurs » forces de l’ordre, ou celles au service du pouvoir politique ? En mai, lorsque des manifestants ont voulu, à la fin d’un rassemblement, se rendre au domicile du Premier ministre, des ordres ont cette fois été donnés pour les empêcher d’accéder à la rue visée. Les exemples de ce type ne manquent pas. Alexandre Langlois en a fait l’expérience en avril, lors d’un rassemblement prévu  Mantes-la-jolie à l’occasion de la venue de Manuel Valls : « La manifestation avait été autorisée par la préfecture. Mais le cabinet du Premier ministre a expliqué Qu’il n’y a pas de contestation lorsque M. Valls se déplace. Ordre a donc été donné de repousser les manifestants. Le plus grave, c’est qu’après, les manifestants voulaient rentrer chez eux. Mais le cabinet du Premier ministre a refusé car il ne volait pas prendre le risque de voir ces personnes recommencer à manifester. Les gens n’avaient donc plus le droit de bouger ! On en est arrivé à une situation ubuesque où une personne voulant aller aux toilettes a dû déposer ses affaires dans un car de CRS, être accompagnée d’un CRS puis ramenée à l’endroit où ls manifestants étaient maintenus. C’est un délit d’entrave à la circulation! Vraiment, c’était des ordres politiques, au mépris de la Constitution et de toutes les lois en vigueur. »
Amorcé avec l’instauration de la politique du chiffre sous Chevènement, amplifié sous Sarkozy, cet accaparement des forces de l’ordre par le pouvoir politique a connu une accélération fulgurante sous Valls. En 2014, alors ministre de L’Intérieur,  il est allé jusqu’à le matérialiser dans le nouveau code de déontologie de la police nationale. Alors que l’ancien donnait notamment pour mission aux forces de l’ordre de garantir « les libertés », il n’en est plus question dans le nouveau. De même, il n’y est plus fait mention de la ‘République ». Par ailleurs, la loi Renseignement place la DGSI sous la coupe personnelle su Premier ministre, qui peut ainsi décider, seul, de mettre sur écoute qui bon lui chante : terroriste, militant ou opposant politique, sa marge de manœuvre est totale, et les contrôles inexistants. Puis, ce même gouvernement a instauré l’état d’urgence. Il a donné lieu à plus de 3 000 perquisitions administratives, mais seulement quatre pour terrorisme.
(1) L’arme à l’œil, violence d’État et militarisation de la police,
de Pierre Douillard-lefèvre, éditions Le bord de l’eau 93 p. 8 €

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