Bouillante, en Guadeloupe, ou comment enterrer la filière géothermique

Lagedefairedecembre-2016L’âge de faire – juin 2016 – Nicolas Bérard –
La centrale géothermique de Bouillante, en Guadeloupe, devait  être le premier maillon de la filière géothermique française. Du fait de nombreux errements dans sa gestion, la promesse n’a pas été tenue.
Vue aérienne des installations de la centrale géothermique du site de Bouillante (Bouillante, Guadeloupe, 2003).
Vue aérienne des installations de la centrale géothermique du site de Bouillante (Bouillante, Guadeloupe, 2003).
Source d’énergie renouvelable, non-intermittente, locale, émettrice de très peu de gaz à effet de serre… Les spécialistes s’accordent sur l’intérêt de la géothermie. Et s’étonnent de constater que la filière se développe si lentement en France. Cette inaction pourrait en grande partie s’expliquer par un fiasco, celui de la centrale géothermique de Bouillante, en Guadeloupe, la seule en France qui soit réellement productive. D’une puissance de 16 MWh, le site fournit l’équivalent de 6 % de la consommation électrique de ce département de 400 000 habitants. Une source qui est loin d’être négligeable, donc. Surtout qu’avec un investissement estimé entre 50 et 100 millions d’euros, sa puissance pourrait passer à plus de 40 MWh. Potentiellement, l’usine de Bouillante est donc un petit bijou, qui devait servir de locomotive à la filière de la géothermie française. Mission totalement manquée.
La moitié du temps à l’arrêt
Depuis sa création, en 1995, c’est la société Géothermie Bouillante (GB) qui est propriétaire du site. A l’époque, EDF possédait 40 % de la société, le BRGM (Bureau des recherches géologiques et minières, l’établissement public référent en matière d’exploitation du sous-sol) possédant les 60 % restants. au fil des années, l’électricien n’a plus réinvesti dans l’équipement, voyant du même coup ses parts fondre. Il détient aujourd’hui plus que 2,2 %. A priori, ce désengagement s’explique assez facilement : selon le BRGM, le coût de production d’un MWh s’élevait à 141 euros. Or, EDF client, le rachetait entre 103 et 130 euros. La centrale de Bouillante était donc structurellement déficitaire, et GB a accumulé plus de 20 millions d’euros de déficit en 20 ans, selon un rapport de 2014 de la Cour des comptes, qui s’interrogeait alors sur les errements de l’État concernant la fixation des tarifs de rachat.
Dans le cas de Bouillante, on peut quand même se demander si EDF, de part son double statut de producteur et d’acheteur, n’avait pas les moyens d’agir autrement… D’autant que même si l’entreprise avait payé, au minimum, le coût de la production de cette électricité – soit 141 euros la MWH-, GB dont elle est actionnaire n’aurait pas eu de déficit, et cela ne l’aurait pas ruinée : selon la Direction générale de l’énergie et du climat (DGEC), dans les DOM, les coûts de production des centrales fonctionnant au diesel tournent autour de 150 euros le MWh, lequel est racheté jusqu’à 250 euros par EDF. Selon l’Ademe (L’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie), la situation aurait aussi pu s’arranger en augmentant le temps de fonctionnement de la centrale. Celle-ci ne tourne que 4 500 heures par an, alors que les installations de ce type existant à travers le monde fonctionnement plutôt 7 000 heures. En augmentant la durée de fonctionnement, non seulement GB aurait augmenté sa production, mais aurait aussi fait baisser son coût de production à environ 100 euros/MWh.
« Une conduite chaotique des opérations« 
L’État et ses administrations n’ont pas vraiment aidé GB à mettre de l’ordre dans ses affaires. En 2011, l’Agence des participations de l’État (APE) s’est vue confier la mission de réaliser une étude financière. Le Conseil général de l’économie, de l’industrie, de l’énergie et de technologies (CGEIET) devait pour sa part réaliser « un audit technico-économique » de la situation. Aucune de ces deux études n’a finalement abouti à un document écrit ! Dans un rapport publié en 2014, la Cour des comptes se montre pourtant particulièrement sévère, évoquant une « conduite chaotique des opérations, financières, techniques, humaines« . « Le BRGM est ultra-compétent dans ses domaines d’activité, mais il n’avait aucune expérience d’industriel« , explique Pierre Beguin, le directeur technique de l’usine. La gestion de la centrale laissait donc à désirer. « Par exemple, le quotidien de la centrale était géré depuis Orléans, poursuit-il. Ça pose un sérieux problème de réactivité. D’autant qu’il y a le décalage horaire, et lorsque vous appelez quelqu’un la nuit, il ne répond pas… »
Plus grave: selon la Cour des comptes, non seulement l’expérience non-concluante de Bouillante a empêché le développement de la géothermie dans tous les autres DOM, mais elle a aussi été préjudiciable à toute la filière française : « les industriels français de la filière ne disposent d’aucune référence sur leur propre marché alors que la production d’électricité géothermique se développe rapidement dans le monde. »
Conclusion des magistrats qui, rappelons-le, ne font pas de politique mais ont pour seule obsession de voir la ligne des recettes supérieure à celle des dépenses : il faut ouvrir la capital à un industriel privé. Ségolène Royal et Emmanuel Macron ont applaudi. L’entreprise américaine Ormat Technologies devrait donc prochainement apporter 50 millions d’euros, plus des promesses d’investissement pour porter la puissance de la centrale à 40 MWh d’ici 2020. Cette société privée détiendra alors 80 % du capital.
Ce qui a fait bondir Alain Plaisir, qui a monté le « Collectif de défense du patrimoine géothermique de la Guadeloupe » pour s’opposer à cette opération censée se concrétiser en septembre. « Si on veut atteindre un jour l’autonomie énergétique en Guadeloupe, nous devons avoir une stratégie globale, explique-t-il. Il faut donc que cet équipement qui fait partie de notre patrimoine reste public. Si l’État n’est pas capable de la faire, pourquoi ps la Région ? » Dans sa lettre ouverte, le collectif explique notamment qu’une partie de l’usine « a été entièrement rénovée il y a deux ans avec des fonds publics; que la région Guadeloupe y a largement contribué (…). c’est donc à notre avis, un cadeau extraordinaire qui est fait à cette entreprise américaine avec l’argent public.  Mais que faire du « déficit structurel » de la centrale ? A priori, il n’y en aura plus, car avant de signer, Ormat a obtenu un prix d’achat par EDF de 170 euros le MWh.

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