Paris – Hébergement : Anne Hidalgo va ouvrir un camp humanitaire à Paris

Le Monde 01/06/2016
« L’Europe n’est pas à la hauteur de son histoire, et la France ne l’est pas non plus lorsqu’elle n’accueille pas dignement »
Lors d’une conférence de presse, mardi, la maire de Paris Anne Hidalgo (PS) a annoncé la création d’un camp humanitaire dans la capitale afin d’accueillir les réfugiés. L’édile s’est donné « un mois ou un mois et demi » pour ouvrir ce camp, qui pourrait être construit dans le « nord de Paris ».
Le Monde 01/06/2016
La municipalité prévient qu’elle est prête à se passer de l’Etat pour héberger les migrants dès leur arrivée

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Yusuf, réfugié soudanais, se prépare à passer sa troisième nuit dans le camp de fortune où sont installés une centaine de réfugiés dans le jardin d’Eole, à Paris, le 31 mai 2016. RAFAEL YAGHODZABEH POUR « LE MONDE »
La Ville de Paris va ouvrir un camp humanitaire pour accueillir, dès leur arrivée dans la capitale, les migrants en transit vers Calais ou ailleurs.  » Nous ne pouvons plus accepter la situation humanitaire et sanitaire des campements de fortune qui se développent dans Paris « , a expliqué la maire (PS) de Paris, Anne Hidalgo, mardi 31  mai, alors que près de 900  Soudanais, Erythréens, Somaliens et Afghans s’abritent sous des bâches et des tentes dans le 18e arrondissement.
A l’heure où se tient, à Paris, le congrès des maires de France, l’Etat se trouve donc pour la deuxième fois face à la fronde d’une municipalité en matière d’accueil des migrants. A peine digérée la mise en place, dans la banlieue de Dunkerque, d’un camp aux normes internationales auquel l’Etat s’est longtemps opposé, l’annonce de Mme  Hidalgo promet des discussions houleuses avec le ministre de l’intérieur, Bernard Cazeneuve.
Aujourd’hui, la France n’accueille pas les migrants entrés seuls sur le territoire, en dehors du programme européen d’accueil des réfugiés. C’est comme si ce principe tacite avait été érigé en loi, malgré les condamnations récurrentes de l’Etat par la justice à Calais et les mises en garde du Défenseur des droits.

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De cette situation, la maire de Paris ne veut plus. Pour en finir avec les campements qui manquent de dignité, la municipalité a  » identifié plusieurs sites, notamment au nord de Paris, qui nous appartiennent et sur lesquels nous pourrons installer un campement, un hébergement humanitaire « , a ajouté Mme  Hidalgo. Le choix devrait être annoncé  » dans les jours qui viennent « . L’ouverture de ce camp constitué d’hébergements  » modulaires «  prendra  » un mois à un mois et demi « , a-t-elle estimé.
L’exemple de Grande-Synthe
Ce lieu, qui sera géré avec France Terre d’Asile, Emmaüs Solidarité et Aurore, trois associations avec qui la municipalité travaille déjà, offrira aux migrants informations et hébergement.  » De là, ils seront orientés vers la structure la plus adaptée à leurs besoins « , a ajouté la maire de Paris.
Même si de Grande-Synthe à -Paris, les situations diffèrent largement, en termes de populations à accueillir et de symbole politique, l’initiative menée par la ville du Nord et Médecins sans frontières (MSF) a pourtant servi de modèle à la capitale. Vendredi 27 mai, Dominique Versini, l’adjointe au maire de Paris chargée de la solidarité, et Eric Lejoindre, le maire du 18e arrondissement, s’y sont rendus, pour ne pas répéter ce qui fonctionne le moins bien et rapporter en Ile-de-France les bonnes idées.
A Grande-Synthe, l’Etat, après s’être opposé pendant des mois au projet, finance depuis lundi une part du fonctionnement du lieu. Comme Damien Carême, son homologue de Grande-Synthe, Anne Hidalgo ne fait pas un préalable du soutien de l’Etat à la mise en place de ce qu’elle estime  » nécessaire «  ; mais en tant que maire de la première ville de France, elle espère bien  » entraîner l’Etat, parce que jusque-là ça s’est passé comme ça « , avançait-elle mardi 31 mai. Depuis un an, Paris a impulsé une ligne peu visible, certes, mais bien réelle. La Ville refuse de trier entre les demandeurs d’asile et les autres, et s’oppose à toute évacuation de campement sans hébergement des migrants et a imposé que les forces de police soient en seconde ligne, les moins visibles possible, lors de ces opérations de mise à l’abri. Cette pratique s’est imposée comme une solution a minima, qui a bien fonctionné sur les 21  évacuations de campements qui ont rythmé la vie de la capitale cet hiver, mais ne suffit plus aux yeux de l’exécutif parisien.

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Si l’idée du camp paraît surprendre aujourd’hui, elle n’est pas nouvelle à Paris. Le 9  juin 2015, déjà, Mme Hidalgo crée la surprise en annonçant vouloir ouvrir une  » maison des migrants  » où ils pourraient se reposer et réfléchir à la suite de leur parcours. Rapidement, le gouvernement lui coupe l’herbe sous le pied en annonçant un plan pour les demandeurs d’asile.
Contrée dans son élan premier, la Ville, membre du réseau des  » villes refuges « , change son fusil d’épaule et essaie de convaincre la Place Beauvau de la nécessité d’héberger les migrants parisiens dès leur arrivée dans la capitale, sans qu’ils doivent attendre plusieurs mois dans la rue. Mais Beauvau reste campé sur sa crainte d’un  » appel d’air  » et répète à l’envi que les camps ne sont pas la solution.
Au fil des dernières semaines, la Mairie de Paris a cru qu’elle gagnerait la bataille et entraînerait l’Etat dans l’aventure. Mais, dans l’entourage du ministre, on souhaitait améliorer la rapidité de la prise en charge, certes, mais sans augmenter le nombre de places pour demandeurs d’asile, sans accélérer l’arrivée des places promises dans le plan 2015… C’est ce qui bloque toute la chaîne de l’hébergement et empêche, de fait, de mettre à l’abri les quelque 60 migrants qui arrivent chaque jour à Paris.
L’équipe de la mairie a bien sa petite idée pour libérer des places d’hébergement dans le dispositif actuel. Cofondatrice du SAMU social, Dominique Versini sait où la fluidité peut être améliorée. Cet ex-secrétaire d’Etat du gouvernement Raffarin (2002-2004), qui n’a rien d’une gauchiste, estime aujourd’hui que la clé d’un accueil digne pour les nouveaux venus passe par la régularisation des familles avec enfants qui  » encombrent  » depuis des années les hôtels d’urgence.
Ne pouvant prétendre, sans papiers, à une quelconque intégration, ils sont maintenus là pour leur éviter la rue.  » Pour libérer des chambres d’hôtel, il suffit de leur accorder des papiers « , insiste Mme  Versini, qui observe que ces familles, hier déboutées de l’asile et dont les enfants ont grandi ici, ne quitteront jamais la France. Leurs places libérées pourraient sans surcoût bénéficier aux nouveaux venus. 4 223 familles, soit 13 903 personnes, sont hébergées à l’hôtel depuis plus d’un an.
Interrogé par Le Monde sur l’attitude qu’il adoptera face à l’initiative Hidalgo, le ministère de l’intérieur déclare qu’ » il se prononcera sur ce projet quand il aura pu prendre connaissance de ses objectifs, de son articulation avec le droit au séjour et avec les dispositifs nationaux d’hébergement et d’asile « . La porte n’est pas fermée.
Maryline Baumard Journaliste
Au jardin d’Eole, 900 migrants s’entassent sous la pluie
Le Monde 01/06/2016
Il pleut sur leur vie,comme il bruine sur Paris. Mardi 31  mai, sur l’esplanade du jardin d’Eole, dans le 18e arrondissement de Paris, près de 900 migrants attendent, les yeux délavés par la fatigue et par l’ennui, d’être relogés dans des hébergements provisoires. Les dizaines de petites toiles de tente rouges entassées osent un peu de couleur dans ce dernier jour de mai à l’allure de novembre.
Assis sur un muret de béton, Mustapha regarde la pluie, protégé par une bâche. Ils sont une dizaine de Soudanais côte à côte, silencieux. A ses côtés, un homme dort, la tête dans les mains. Mustapha s’excuse pour lui :  » On n’a pas dormi, on n’a pas de tente. On est arrivés cette nuit. «  Il y a dix jours, Eole était un petit campement. Puis il a grossi au fil des arrivées quotidiennes, et aujourd’hui tout y manque.
Les histoires des migrants du lieu se croisent et finissent par se ressembler. Mais qu’ils viennent d’Erythrée, du Soudan ou de Somalie, tous ont souffert en Libye, ont accosté en Italie, avec ou sans l’aide des garde-côtes. Puis ils ont entamé la remontée de l’Italie, ont passé difficilement la frontière, à Vintimille, avant, enfin, de savoir la tour Eiffel si proche…  » Est-ce qu’on va rester là ? « , demande Musaad, les pieds noirs de boue dans ses tongs, en tee-shirt parce qu’il n’a rien à mettre dessus. Le jeune homme ne sait pas trop ce qu’il veut ni même ce qu’il est autorisé à vouloir. Il vient lui aussi de débarquer dans ce monde étrange et étranger dont il ignore tout ; et cette ville moderne dans laquelle il vit comme au Moyen Age le laisse presque sans voix.
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Deux phénomènes peuvent amener à une manipulation dans la prise en compte des informations par notre conscience : --> Le mirage qui voile et cache la vérité derrière les brumes de la sensiblerie et de la réaction émotionnelle. --> L’illusion qui est une interprétation limitée de la vérité cachée par le brouillard des pensées imposées. Celles-ci apparaissent alors comme plus réelles que la vérité qu’elles voilent, et conditionnent la manière dont est abordé la réalité … A notre époque médiatisée à outrance, notre vigilance est particulièrement requise !
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