Déchets radioactifs – A Bure, avec les « insoumis à la radioactivité »

Les députés ont approuvé une proposition de loi sur « les modalités de création d’une installation de stockage réversible » de déchets nucléaires radioactifs à Bure, dans la Meuse. Ce projet d’enfouissement de déchets est contesté par des riverains et associations, qui dénoncent la mise en place d’une « poubelle nucléaire ». Le Monde 14/07/2016
LE MONDE | 15.07.2016

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En cette veille de 14-Juillet, l’ordre règne à Bure (Meuse). Sur les hauteurs du petit village, au milieu des champs d’orge et de colza, un chemin de terre mène à une forêt épaisse : le bois Lejuc, sur le territoire de Mandres-en-Barrois.
Pas une âme en vue, si ce n’est la demi-douzaine de gendarmes postés à l’orée du massif. Sortant de leur véhicule, ils relèvent notre identité et nous escortent sur l’ancienne voie romaine qui longe la hêtraie parsemée de chênes, de charmes, d’érables et de merisiers. Défense d’y mettre le pied.

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C’est ce bois de 220 hectares que deux cents opposants au Centre industriel de stockage géologique (Cigéo) des déchets nucléaires ont occupé, le 19 juin. Eux disent l’avoir « libéré du joug » de l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra).
mandres-en-barrois-(meuse)-evacuation-du-bois-lejuc-1467878988Le 7 juillet à l’aube, ils en ont été délogés par des gendarmes mobiles, lors d’un assaut auquel leurs barricades n’ont pas longtemps résisté, sous un nuage de gaz lacrymogènes. Mais samedi 16 juillet, grâce à des renforts venus d’autres régions, ils espèrent bien le reconquérir par une « manif de réoccupation ».
Voilà comment, sous les futaies, le combat des anti-Cigéo est en train de changer de visage. Depuis que le site de Bure a été choisi, à la fin des années 1990, pour accueillir un laboratoire de recherche préfigurant un centre d’enfouissement de déchets radioactifs, le projet était resté abstrait. Qui peut se représenter un « stockage géologique » dans une « couche profonde » d’argilites « du Callovo-Oxfordien » ? Qui plus est, à 500 mètres sous terre ?
Premiers stigmates
Mais tout est devenu beaucoup plus réel depuis que l’Andra a entrepris des travaux dans le bois Lejuc, cédé par la commune de Mandres-en-Barrois en échange d’une autre forêt. C’est à l’aplomb de cette parcelle forestière que doivent être creusés les puits qui achemineront ouvriers et matériels dans les tréfonds du sous-sol, pour y percer les 300 kilomètres de galeries destinées à abriter 80 000 mètres cubes de déchets hautement radioactifs et à vie longue. Elles seront reliées, par des descenderies de cinq kilomètres, à la commune haut-marnaise de Saudron où, durant un siècle, un terminal ferroviaire recevra, à raison de deux convois par semaine, les « colis » radioactifs provenant des centrales nucléaires françaises et de l’usine de retraitement de la Hague (Manche).
BureLe bois Lejuc en porte les premiers stigmates : une saignée courant le long du peuplement forestier, où les arbres ont été coupés ras pour laisser place à une double rangée de piquets et barbelé. Les occupants les ont arrachés et cisaillés, mais l’Andra prévoit de les remplacer par une clôture en béton.
« En vue de la demande d’autorisation de création du centre de stockage, qui sera déposée en 2018 pour une éventuelle mise en service en 2025, nous devons faire des forages, pour connaître la nature du sol et dimensionner les installations de surface, justifie le directeur du centre Meuse-Haute-Marne de l’Andra, Jean-Paul Baillet. Si nous avons été obligés d’installer une clôture amovible, c’est en raison de destructions de matériel et de menaces contre nos salariés et nos sous-traitants. »
A ce stade, ajoute-t-il, « il ne s’agit pas de défrichement ». Le déboisement viendra plus tard, avec les fouilles archéologiques requises pour tout chantier, puis l’aménagement des bâtiments de surface et de la zone où seront déversées les roches extraites du sous-sol, sur une emprise totale de 300 hectares.
« Dernier bien commun »

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© Julie Rasplus / Francetv Info Un campement a été installé au cœur de la forêt communale de Mandres-en-Barrois, le 29 juin 2016, dans la Meuse.
Les contestataires ont une tout autre vision. Au cours des trois semaines d’occupation qui, autour d’un noyau de militants antinucléaires et d’opposants « historiques », ont soudé des villageois venus tenir les barricades et des paysans apportant planches à cabanes et victuailles, ils ont commencé à écrire un nouveau récit pour le pays de Bure.
Il fait pièce à celui déroulé par l’Andra qui, depuis vingt ans, explique aux habitants que le fardeau des déchets nucléaires ne peut être laissé aux générations futures, assure que les risques industriels sont maîtrisés et, pour être mieux entendue, distribue chaque année 30 millions d’euros de fonds d’accompagnement à la Meuse comme à la Haute-Marne, tout en promettant deux mille emplois pendant la phase de pointe du chantier, puis cinq cents durant les cent ans d’exploitation du site.
« Ici, où la monoculture céréalière a vidé les champs de leurs paysans, la forêt est le dernier bien commun, dit un jeune opposant, qui se présente sous le pseudonyme bien choisi de Sylvestre. L’Andra, qui a déjà acquis 1 000 hectares de terres agricoles et 2 000 hectares de forêts, est en train de tout privatiser. Elle sème le désert. Nous voulons semer la vie. » Alors, puisque « ce n’est pas dans les couloirs feutrés du Parlement que l’on fera bouger les choses », il a opté pour « la lutte sur le terrain ».
A l’idée de « zone à défendre » (ZAD), marquée par les conflits de Notre-Dame-des-Landes (Loire-Atlantique) ou de Sivens (Tarn) et « stigmatisante », il préfère celle de « zone d’insoumission à la radioactivité » (ZIRA), en référence à la « zone d’intérêt pour la reconnaissance approfondie », où l’Andra a recherché un site d’enfouissement.
« Projet inutile et imposé »
Qui sont ces insoumis ? Ce midi-là, dans la Maison de Bure, une vaste bâtisse transformée en « maison de la résistance », entre église et mairie, ils sont une quinzaine attablés. Des jeunes surtout, filles et garçons, souvent passés par d’autres luttes. Des anciens aussi, habitants des villages voisins ou venus de plus loin.
Christian et son épouse, Marie-Jeanne, agriculteurs alsaciens à la retraite et membres de la Confédération paysanne, sont de toutes les actions « contre l’accaparement des terres, surtout pour un grand projet inutile et imposé ». Danielle, enseignante, retraitée elle aussi, pense que « la terre appartient aux gens d’ici, ceux qui y vivent et y travaillent ».
Pour Michel, de Mandres-en-Barrois, « la goutte d’eau » a été la cession du bois Lejuc à l’Andra, par un vote du conseil municipal à bulletin secret, un matin de juillet 2015 aux aurores. Cela, alors que deux ans plus tôt, les villageois avaient refusé son échange contre d’autres boisements. Thierry, un ancien technicien de l’Office national des forêts, trouve ici « une convergence des luttes contre le nucléaire et la destruction des forêts ». Jean-Pierre, un agriculteur qui a, depuis ses hangars à foin, une vue imprenable sur la voie ferroviaire, est « contre le projet, mais aussi contre les méthodes de l’Andra qui, pour s’implanter sans vagues, achète les consciences ».

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Avant de dresser des barricades, les opposants ont tenté des recours juridiques, contre l’échange de forêts et contre le défrichement, à leurs yeux « illégaux ». La justice tranchera. Vendredi 15 juillet après-midi, le tribunal de grande instance de Bar-le-Duc les a déboutés de leur demande de retrait de l’ordonnance d’expulsion prise à leur encontre à la requête de l’Andra.
« L’occupation du bois est légitime, défend Régine Millarakis, membre de la coordination Burestop et figure historique du mouvement. Les déchets nucléaires, il faut d’abord arrêter d’en produire, ensuite chercher une autre solution que l’enfouissement. Comme l’entreposage de longue durée, qui avait été mis en avant lors du débat public de 2005, mais qui n’a pas été exploré ». Cette femme menue à la voix douce prévient : « Aucun d’entre nous n’a envie d’aller à l’affrontement. Mais l’Andra nous mène dans une impasse. Il faut se battre pour en sortir. »
Pierre Le Hir (Bure (Meuse), envoyé spécial)  Journaliste au Monde

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Deux phénomènes peuvent amener à une manipulation dans la prise en compte des informations par notre conscience : --> Le mirage qui voile et cache la vérité derrière les brumes de la sensiblerie et de la réaction émotionnelle. --> L’illusion qui est une interprétation limitée de la vérité cachée par le brouillard des pensées imposées. Celles-ci apparaissent alors comme plus réelles que la vérité qu’elles voilent, et conditionnent la manière dont est abordé la réalité … A notre époque médiatisée à outrance, notre vigilance est particulièrement requise !
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